samedi 16 mai 2009

Fini

Je n'ai absolument pas rencontré l'objectif que je m'étais fixé au début.
Tellement de médiocrité et de médiocrités dans le texte original que j'en ai supprimé de nombreux segments parce qu'ils étaient aussi scabreux que ridicules.
Le scénario, s'il en est un, est celui de quelqu'un qui attend le grand Amour et qui en rêve sous divers symboles.
J'ai détruit l'original : s'il fallait que mes enfants tombent là-dessus je perdrais irréversiblement le peu de crédibilité qu'il pourrait me rester.
J'ai révisé (?) le texte en le tapant sans jamais le relire, ce que je n'ai pas l'intention de faire.
En fait, je vais inviter Lurch à venir y jeter un coup d'oeil, mais je n'ai pas d'idée sur la durée du séjour de ce texte en ces lieux.
Le meilleur point de toute cette aventure est que j'ai appris à sauvegarder un texte en PDF.

le point final

Le couloir parallèle

Le couloir parallèle
À ma femme
Au coeur du temps… au coeur de la pluie, de la grêle, de la neige, le soleil qui m’éblouit esquisse dans le ciel une ombre qui me tend les bras. Une vague silhouette s’extrapole entre elle et moi. Ainsi se dresse dans la passivité de mon quotidien le spectre de la confusion de mon destin; je les suis.
J’étouffe, je me meurs, mais le ciel, maternel, me rassure :
« Tu ne mourras pas, me dit l’étoile solitaire dans la nudité d’un ciel sans nuage. Tu ne mourras pas, me répètent les gouttelettes de pluie. Faute d’avoir vécu, rajoute le vent. »
Je n’ai plus besoin de rien mais je ne sais pas comment m’en débarrasser. Je suffoque dans le brouillard où Big Ben, dérouté, égraine dans un concert infernal de cloche fêlée, les mille coups d’une heure; une heure du jour où de la nuit, je ne sais plus. Les loups hurlent la nuit, les hiboux dorment le jour; or, dans le contexte actuel, je vois un hibou qui vache à cheval sur un loup muet comme une carpe, sale comme un cochon. Si j’étais marié, je serais certainement cocu; je ne suis que con, peut-être même pas.
À ma droite, au bout d’un virage interdit, se profile voluptueusement la monstrueuse Tour Eiffel, aussi hideuse et sans idée que le siècle où nous, où vous vivez. À ses pieds, les barreaux de la basilique Saint-Pierre de Rhum, où se meurent les restes. Mais pourquoi le soleil est-il noir ? Est-ce que la lune serait morte ?
Je ne dois perdre d’odorat mon destin, je ne le vois plus mais je le sens, et le suis par nature et par instinct. Ce n’est pourtant ni un juif, ni un italien. C’est un canadien, un quai bec coi, un québec quoi; un quai la gueule
fermée, un montréalaid, un moi, un mondestin, un rien, tout comme ce vieillard qui passe, vraie usine de bulles à savon de pipe de plâtre de barbe à poux, qui a perdu son destin pour avoir dormi un samedi après-midi et qui le recherche dans ses bulles toutes aussi éphémères qu’un bonheur qu’il a déjà connu; pas moi.
L’amour c’est quand on s’aime me chante le chanteur, l’amour c’est quand on sème me chante le Bordel, l’amour c’est quand on s’haine me chante le reste de l’Humanité. Et Big Ben qui rit de moi…
J’entre dans une taverne, une maverne plutôt puisque tout m’appartient. Je m’assieds sur une table, les pieds sur le dossier d’une chaise libérés sous condition, la tête dans un nuage qui me caresse le visage. Ici au moins, l’homme se sent bien, ça sent bon la sueur, la crasse, la draft où chacun se noie avec ses ennuis.
« Jeune homme, avez-vous des papiers pour prouver que vous avez vingt et un ans ? »
Que de courtoisie dans une maverne si mal famée, mais la question est beaucoup trop indiscrète surtout que je n’ai pas de papiers, ni vingt et un ans. C’est dommage car le garçon avait une gueule sympathique, et il était un peu jeune pour mourir. D’habitude je ne tue pas les garçons de moins de douze ans, ça me donne des cauchemars. Mais une fois n’est pas coutume, je dégaine un long couteau, symbole phallique des vieilles filles enragées, et je transperce son coeur qui, n’étant pas habitué à un tel traitement, laisse couler les flots de la vie et du reste qui n’est pas plus gai. Personne ne se préoccupe de ce petit malentendu bien exécuté; ils sont tous noyés ou perdus sur leur île déserte. Je tranche aussi la gorge qui a eu une si mauvaise parole. Je lance une dizaine de trente sous sur la table, malgré tout il a bien mérité un pourboire même s’il n’a pas assouvi une soif que la vue du sang m’a fait perdre.
Je ressors de la caverne sobre comme l’Armée du Salut, mais plus ivre que si j’avais déjà bu. C’est le printemps, la saison des amours, et je cours après
les jupons de mon destin. Les bourgeons poussent, ils me poussent, je me pousse, je prends mes jambes à mon cou et je m’étale de tout mon long, la face dans la sloche. C’est une erreur de compréhension, les bourgeons, ils me poussent mas pas pour que je tombe pis que je me fasse mal, ils me poussent à la joie, ce n’est pas pareil ça, mais je n’avais pas compris. D’ailleurs, c’est gentil les bourgeons, ce n’est pas comme les bourgeois, ça ne mange pas les petits enfants prolétaires, ni la laine sur le dos des coquerelles; les bourgeons ne feraient pas de mal à une mouche, mais avec les hommes tout devient compliqué, et moi je ne comprends jamais rien. Au fait, c’est quoi la joie ?
Je me relève en titubant, un goût de sel dans la bouche, un goût de celle que j’attends pour qu’elle devienne ma femme et que je devienne son homme. Tiens, là voilà qui passe, c’est mon destin, il me faut le suivre, il me faut la suivre, surtout ne pas les perdre de vue cette fois. Il s’agit de bien les voir cette fois; je leur cours après; la courtisane y prend plaisir. Soudain un point d’interrogation m’obstrue le passage, me couple le sifflet. « STOP » C’est époustouflant, étourdissant de se poser une question aussi éperdument transcendantaliste; c’est si rare, si démodé. Mais où est-elle passée cette question ? Tiens, une autre question ! Une question en attire une autre; c’est une habitude à ne pas prendre; je devrais me faire romancier-savon, ce serait plus propre et plus approprié. Ah! La voici qui me revient :
« Comment se fait-il que mon destin soit une courtisane, donc une femelle, alors que moi je suis un spermatozoïde ambulatoire, un embryon de mâle; mon destin d’homme est une femme… et alors ? »
Je me passe la main dans les culottes; je suis bien un mâle, du moins anatomiquement, parce que pour le reste… et je comprends maintenant que les gens et les indigents ne se posent plus de question. Mon destin est une femelle, c’est donc aussi un mal; nous pourrons sans doute bien nous entendre, surtout si nous parlons assez fort. Mais les destins sont peut-être comme les anges gardiens qui n’ont pas de sexe, les pauvres. Mon destin
semble avoir compris le petit geste équivoque invoqué en début de paragraphe. Elle m’entraîne dans son sillage comme la traîne derrière la robe de mariée. Big Ben peut bien rire comme un déréglé.
Mon destin connait bien son chemin, mais il est muet sur son présent ce qui n’est pas un cadeau et sur son avenir ce qui en est peut-être un. Son silence m’effraie. J’en suis pour mes frais. C’est très agréable d’être frais; on ne s’y sent pas comme chez soi. Enfin, nous parvenons à la rue du bord de la rivière et nous pénétrons dans une maison sombre comme une perspective d’avenir. Nous voguons dans la littérature noire, malgré sa grande faiblesse. Il y a de longs escaliers à escalader, mais la peur me donne des ailes; zélé, je ne sens plus ma fatigue; d’ailleurs ma fatigue a une fâcheuse odeur offensante et fatigante qui tourne au ridicule ce qui me tape sur les nerfs qui a leur tour empestent : c’est un cercle vicieux au cube. Tout comme cette maison de débauche où je viens de réussir à échouer, ce qui n’est pas triste. Mais qu’est-ce que ça fait puisque Big Ben ne rit plus ?
Mon destin m’entraîne de maison à chambre close. Mon destin m’enlève mes vêtements mouillés qui sentent la merde à plein nez. Mon destin en profite pour me faire les poches. Petit profit que cette récolte de trous. C’est le dessein de mon destin qui a des seins et qui ne se gêne pas pour le faire savoir. Tenez, touchez, ce sont des vrais. J’ai un destin prostitué. Bordel, c’est bien à moi qu’il fallait que ça arrive. Mais je renonce à comprendre. C’est trop compliqué et pas très bon pour la ligne, surtout quand on veut aller à la pêche.
Mon destin est quand même d’une délicate gentillesse. Il ne veut pas que j’attrape froid. Elle est bien douce quand elle le veut bien ma petite nympho, elle se frotte contre moi comme une chatte dont elle a les yeux et le pelage. Elle en veut, elle a faim ma Pomponette et si je n’ai pas un rond, j’ai quand même de quoi la nourrir.
Je suis nu comme un ver, comme le verre de je ne sais quoi qu’elle me tend, elle qui m’a si bien détendu que j’en suis flasque comme un ver. Je suis nu comme un ver et elle pas. Le destin doit suivre son homme comme
l’homme suit son destin. Et si l’homme est nu, il est bon que son destin le soit aussi. Cette proposition recueille tous les suffrages, ce qui ne se produit quand même pas tous les jours. Ses vêtements prennent systématiquement le chemin qui mène à la nudité et comme on n’arrête pas le progrès, on n’arrête pas non plus le processus de dénudement. Jusqu’à la fin, parce qu’à la fin, il n’y a plus rien.
Pour ne pas perdre de temps, un exercice périlleux parmi tant d’autres, nous faisons un peu d’exercice, excités par le proverbe : cent fois sur le métier vous remettrez votre ouvrage. Le rire cristallin de nos corps comblés attire Big Ben à la fenêtre. Sa tête de cloche nous regarde mélancoliquement baiser sans amour. À quoi penses-tu Big Ben ? Tu pleures ou tu te rinces l’oeil ?
Je me réveille juste à temps pour m’apercevoir que ne je dormais plus. Big Ben m’accueille avec son maudit rire, son maudit, son mot d’ire. Le jaloux. Il a beau jeu quand je suis seul. Les insultes que je lui lance n’ébranlent pas sa couche de bronze. Londres est désertique, le Champ de Mars est désarmé, les cloches de Rome pondent des oeufs de Pâques à deux jaunes. Comme c’est l’habitude ici, les prévisions de la météo sont brumeuses. Voici planté le décor de la journée. Silence ! Le rideau, déjà bien éveillé lui aussi, se lève. Zut ! La corde est cassée.
Aujourd’hui, je me sens tout autre ce qui n’est pas un avantage négligeable si on daigne se souvenir qu’hier je puais. Ma vie est une succession de douches froides; ça lave peut-être moins bien, mais c’est plus dans mes moyens qui sont nettement sous la moyenne. Je me sens déchargé du lourd poids d’un hérétique érotisme. Je me sens léger comme l’oiseau qui suspend son vol pour contempler l’azur infini de ses petits yeux émerveillés; je me sens mi-poète, mi-épais et faute d’y mettre une sourdine, j’y mets un bémol.
La machine s’est remise en marche, la mienne et celle de tous ces automates qui peuplent Londres, ce qui en soulage le reste du monde.
Ce sont des numéros de série qui ont heureusement l’originalité de ne pas tous porter le même ce qui permet de distinguer les faux jetons des vrais.
Ce sont des robots, c’est pourquoi ils portent tête carrée sous chapeau melon. On dit que l’exception confirme la règle et ce qu’On dit est généralement vrai tellement il en sait des choses, ce qu’On. J’aimerais bien le rencontrer quelque part au hasard des gares, au hasard des rues. On pourrait être ami-ami.
Ici, les exceptions ont un petit quelque chose d’exceptionnel en ce qu’elles fleurissent les rues au lieu de confirmer les règles. Selon les quelques femmes que j’ai connues, s’il faut confirmer les grossesses, il est rarement nécessaires de confirmer les règles même quand on est déréglée. La confirmation des règles est un des nombreux passe-temps du clergé qui, en passant, aime bien confirmer les passants. Mais les exceptions d’ici sont plutôt défroquées sauf quand le mercure tombe sous zéro.
Ici, aussi, les gens n’appellent pas les gens par leur nom et quand l’un sombre dans la délinquance, l’autre signale son numéro. Pour les autorités, c’est un gain de temps. Et même quand On égraine les secondes, un gain de temps n’est pas perdu pour tout le monde. Quand l’un d’entre eux est plus dur à comprendre, on l’appelle enclume ce qui, tout compte fait, n’est pas plus mal que de se faire appeler tête carrée. Et passons sous la pudeur du silence, ceux qu’On appelle les tournevis. Ce qui crée un potentiel de problème épineux dans l’éventualité où il s’agit d’un tournevis à tête carrée. On hésite alors entre la mésentente en sourdine et l’abus de pouvoir déclaré. Qu’importe puisque demain On leur aura donné un autre nom, un nom de plus, un surnom.
Les robots, pour en revenir à eux qui n’en reviennent pas, sont des humanoïdes bizarroïdes, des oiseaux rares en vol d’extinction. Ce sont, pour la plupart, des révoltés, des affreux, des vampires assoiffés d’une paix à bas voltage, des caractériels de ligne de montage. Leur révolte est issue de la douleur, leur déchirure est issue de la haine qui, elle, est sans issue.
Voilà pourquoi ils s’emploient à prêcher la parole par leur silence huileux, la tendresse par leur pouvoir d’écoute infinie. Ce qui ne fait guère l’affaire de leur concepteur qui, frustré dans ses prérogatives de créateur, dresse fébrilement les plans de son prochain univers.
Parmi les robots, outre les têtes carrées, les enclumes, les tournevis, l’observateur attentif aura tôt fait de repérer les scies. Ceux-ci, par mauvais jeu de mots, refusent de jouer le jeu pour se consacrer, toujours par influence du clergé, à la parade des charades. Et leur devise, discrètement affichée proclame : « Scies ? Jamais ! » Et pourtant, cela arrive. Il n’a pas fallu bien longtemps aux automates pour les classer dans le champ des dénués d’intérêt, ce qui, en soi, est une erreur capitale.
Quand aux pinces, ils peuplent leur quartier clos comme les lépreux du passé décomposé. Mais leur mal est plus profond que la lèpre, sans être plus douloureux mais leur mal indolore ne sera pas sortira pas d’un laboratoire où la recherche se morfond en perdant ses morceaux.
Qu’à cela ne tienne, j’ai aujourd’hui une âme d’hirondelle et je vous suggère instamment de vous méfier des mouvements de libération de mon cloaque. J’ai une âme de premier communiant pollué par les sacrements et chahuté par les garnements. J’ai une âme d’inconscient ce qui renforce mon sentiment d’avoir à vous inciter à prêter grande importance au moindre de mes mouvements, surtout ceux d’entre eux qui impliquent les masses. C’est dans cet état d’âme que j’entre dans la vallée de l’Amour Infini, ce qui est une sacrée bonne chose parce que quand l’Amour sera fini, je le serai aussi, je traverse les frontières du bien et du mal, petite balade quotidienne, et je me retrouve ailleurs.
La première chose qui frappe l’étranger qui pénètre dans cette contrée de prédilection, entrée directe au sein des mille et un contes d’une nuit, ce sont les drug stores qui pullulent. On voyage souvent dans ce pays, mais il est, ici comme ailleurs, extrêmement difficile et, faut-il le dire, éminemment peu souhaitable, de l’attraper sous peine de le voir vous prendre en grippe.
Mon pays, ce n’est pas un pays, c’est un paysage qui défile, c’est un joli bateau dans lequel la majorité ne veut pas monter avant d’avoir atteint la maturité, c’est une auto, un mobile, une carte qui bouge sans se déplacer, bien soucieuse de bienséance, c’est un amalgame de couleurs odoriférantes que personne n’a encore touchées, des sons qui collent à la peau pour faire meilleure impression, des gens qui parlent d’avancer ignorant que l’immobilité est un recul, des gens qui voyagent assis en cercle dans un coin. Des gens qui un jour aiment, l’autre détestent, souvent méprisent, par arrogance ou par méprise. Des gens qui sont les miens mais à qui je ne ressemble pas, moi qui aime toujours puisque l’amour est le fil de ma vie et que je n’ai d’autre choix. Quand je n’aime pas, je ne suis pas moi, comme parfois, comme présentement peut-être. Vous voulez un gros bec ?
Quand je ne suis pas moi, je ne suis personne d’autre. Je suis un malentendu qui s’ignore, qui ignore exister, qui, peut-être, n’existe pas. Et un personnage qui n’existe pas n’a strictement rien à dire, ce qui implique que je fais fausse route ce qui vaut quand même mieux qu’une fausse couche. Quand je ne suis pas moi, je n’aime pas plus la haine que je hais l’amour. Et si je n’aime pas la haine, j’aime, sobrement, la reine qui me permet de polluer son royaume par ma seule présence discrète comme le bruit d’un pet étouffé. Et l’arène où les premiers chrétiens se faisaient bouffer dans l’attente de conventions internationales contraires aux intérêts de l’Empire reste profondément enfouie dans la cendre des décombres des siècles. Pourquoi en parler alors ?, fait l’impertinent Big Ben du haut de sa magnificence.
Ici, tout est tranquillement. On vit en seize révolutions sans fusil par minute sur un soixante dix-huit tours guidé unidirectionnel. La révolution dans un seul sillon, si petit qu’il se qualifie lui-même de micro.
Grâce aux substances, les pharmaciens et les pharmaciés n’ont aucune possession de leurs sens, sans prétention. Le corps est la seule propriété privée et rien ne nous y oblige. Perdre son temps pour gagner de l’argent
n’a pas plus de sens que perdre son sang pour gagner de l’or. Ça mérite une médaille même si je ne veux pas être chien.
Ici On cherche et On ne trouve pas. Et c’est très bien comme ça. Du moins, je pense et c’est ce qu’On en dit. Dans ces terres incertaines, il vaut mieux s’en tenir à la pharmacie qu’aux autres valeurs potentielles. Mais les gens n’ont pas à chercher pour trouver à s’éclater comme du maïs sous la chaleur ambiante. Les lignes droites ne font pas longtemps partie du paysage. Elles sont expulsées comme un mauvais acide, elles sont rendues à l’état dans un grand coup de gueule libératoire.
Ici, je serais comme chez moi s’il m’était possible d’en avoir un. Je me sens très bien dans cette dérive de sourires. Je m’accommode très bien d’un pays kaléidoscope en mouvement perpétuel. Le monde et les temps changent :
« Je suis la voix de celui qui parle la bouche pleine de dessert, je ne suis pas un impoli, ma bouche n’est pas vraiment pleine sinon je serais sans voix. Je suis un imposteur. Crucifiez-moi ! Moi ! Moi ! À mort ! En croix ! La tête en bas ! Changez de côté, vous vous êtes trompés. »
Les paroles ont changé, l’air a changé, mais la chanson est restée la même. Pauvre homme qui ne peut attirer l’attention sur lui en se crucifiant lui-même, ni trouver aide et assistance. L’histoire ne se répète qu’en infinies variantes, jamais deux semblables. L’histoire n’a pas de jumeaux identiques. Ce serait d’ailleurs bien gênant.
L’homme n’a pas renoncé malgré le ridicule; il essaie de s’asseoir sur la tête, tête qui a pris la place de son coeur sur sa main, parce que son coeur a pris la place de son estomac dans ses talons et qu’il a fini par apprendre à marcher dessus. Il est devenu un flot de haine à trop se contempler le nombril, aveugle à la mer d’amour où il flotte dans une dérive où il finira par finir échoué. C’est un adulte, ce n’est plus rien qu’un mauvais moment à passer, une fausse route, un chemin qui mène vers les cendres dont plus personne ne saura que faire.
Soudain, les lumières s’éteignent. Le film en couleurs est terminé. Il s’en projette un autre, qui n’a rien de neuf, en noir et blanc. C’est un documentaire sur un amas de cadavres en décomposition, ce qui est quelque chose à voir surtout au cinéma où, comme toujours, on laisse dormir l’olfaction. Mais je n’y suis pas et les cadavres sont là. Triste vision d’une réalité. Je sens une présence qui m’englobe, comme une vérité sur le point d’éclore sous mes yeux, ça me maganerait la face tout en mettant un peu de vie dans mes jours. De toute façon, je n’ai pas le choix du programme de ma vie, d’ailleurs la voilà qui éclate à son tour. Les feux d’artifice sous-marins ne font pas beaucoup d’étincelles. Si la vérité est quelque part, elle ne peut pas être ailleurs en tous cas elle n’est pas ici. J’aurais bien envie de m’en aller mais parfois j’oublie que je ne suis pas au cinéma comme d’autres oublient qu’ils y sont.
Je n’ai plus rien à faire dans cette scène. J’ai tout vu, j’ai compris qu’il n’y avait rien à voir, j’ai vu qu’il n’y avait rien à comprendre; maintenant, je suis seul sans être le seul à l’être. Je soupire d’ennui en attendant que la nuit tombe de sommeil. Je sais que demain sera tout autre, tout le monde sait ça, ce qui m’enlève tout mérite. Chaque jour, ma vie change. Le décor où elle se déroule aussi. Mais qui a bien pu rouler ma vie ? Chaque jour je deviens un nouvel être, une grande improbabilité, mais cet être est toujours moi. C’est le seul bonheur de ma vie de nomade.
La lumière, sans avertissement, faute d’avertisseur, revient à pas feutrés. C’est comme s’il y avait un rappel, mais le coeur n’y est pas. Encore une fois on peut se demander où est rendu ce coeur. La lumière sort d’une longue maladie, elle a perdu toutes ses éclatantes couleurs pour ne garder que les plus ternes. Je vois le monde projeté en teintes pastelles tièdes sur un écran quadridimensionnel. Dans tout le paysage, je suis le seul à avoir gardé mes couleurs originelles malgré le trouble de mon âme; les autres ont l’air aussi malades qu’ils le sont. Je suis le seul à sauver les apparences.
Je ne sais plus pourquoi je vis, en fait, pour une fois, je me sens un peu comme les autres. Je n’aime pas me l’avouer mais ça m’arrive. Je garde
l’espoir de m’en sortir. Que l’écho de mes couleurs recommence à déteindre sur mon moral. Je suis désolé, mais je ne badine pas avec l’espoir. Je cherche, poussé par la certitude de trouver. Dans ce monde ou dans un autre. Qu’importe ? Quoiqu’il arrive, tout change à tous les jours, sauf moi.
Je sais que je ne sais pas et j’en souffre plus que si je ne savais pas. Par instants, je suis un peu fou. Par d’autres, plus fréquents, je suis plutôt flou. Je regarde sans comprendre. Conscient qu’il faut regarder pour comprendre mais que l’un ne garantit pas l’autre. J’aimerais bien me désintéresser mais je n’ai pas la méthode du bon petit indifférent. Comment vivre en ce pays où On ne vit pas ? Je ne sais pas et ça m’écoeure, pas vous ?
Une autre masse colorée apparait au centre de ce corps inerte. Ne serait-ce que ma projection ?
Heureusement, cet amas de teintures trop vives n’est qu’un pôle négatif attirant ce séduisant pôle positif que je suis. En toute humilité.
Ce pôle négatif se nomme, ou peut-être se prénomme, Fatigné. Drôle de nom pour un drôle de pôle. De bonne espèce toutefois. Même si ce n’est pas d’une marque très connue. Du sang humain circule entre ses couches électroniques des plus propres. Mais son essence de qualité supérieure garantie, à haut indice d’octane, et tout le reste du blabla publicitaire, lui occasionne de multiples ennuis mécaniques par excès de corps étrangers. Elle traverse une rude période de panne intense quoique passagère. On peut l’affirmer en regardant ses couleurs trop vives pour être vraies. Elle ressemble à une Jeanne D’Arc sans armure. Elle en est sortie prématurément. Une armure, c’est utile quand on n’a pas encore ses dents. Ce qui est habituellement le cas des prématurés. Du moins chez ceux qui sont humains.
Quel dommage de ne pouvoir caresser les longs cheveux blonds qui coulent en laissant leur trace sur son dos. Son délicat visage, la douceur anticipée
de sa peau, humaine. Un corps harmonieux, au pouce cube. Émouvante beauté. Émotion teintée de concupiscence. Sentiment que je goûte pour la première fois depuis que je ne vis plus ma vie. Chaque branche de chaque arbre du décor porte un oiseau dont le chant harmonieux me soutient dans ma volonté de rester debout et celle, moins ferme, de garder mes vêtements là où ils sont. Je m’appuie sur ces notes claires et joyeuses; j’en ai bien besoin.
« Chante rossignol chante toi qui a le coeur gai » Moi, je ne me sens plus la force de chanter mais le goût, comme la belle qui dormait au bois, de me faire éveiller d’un baiser d’une chasteté contestable. J’ai pitié d’elle car elle est, elle aussi, dans un couloir parallèle. Un espace peu confortable où l’unique dimension spatiale se confronte perpétuellement à la dimension temporelle. Pour elle, j’aspire à demain. J’appelle le soir et ses ombres à mon secours pour m’aider à tourner en silence la page du calendrier. Seule la nuit peut me tirer de cet enfer, vers l’univers de demain dont j’ignore s’il sera meilleur mais qui sera certainement différent.
Pour une fois, le voyage sera différent car j’emporterai dans mes bagages un souvenir éblouissant bien que souillé par des considérations libidineuses.
Les ténèbres se meuvent avec le silence et la vitesse de la lumière. Le privilège que nous avons que la lumière soit silencieuse est grandement sous-estimé depuis la nuit des temps, un cliché qui, dans les circonstances, prend un tout autre éclairage.
En extase devant la splendeur cristalline de Fatigné, je ne perçois pas les rumeurs de la nuit qui m’enrobent discrètement comme le chocolat autour de la cerise. L’obscurité et mon impuissance, doublée de mon innocence écartée, me déconcertent. Je voudrais parler à Fatigné, mais je n’ose pas. La barrière de l’audace se dispute la barrière linguistique. Si nos langues peuvent s’emmêler, est-ce que nos langues peuvent se mêler ? Je ne sais pas où s’arrêtent le rêve et la réalité.
Le rideau tombe. Je plonge dans l’empire de la nuit en esquivant l’empire de l’ennui. L’empire de la nuit, si hospitalier, si chaleureux malgré la fraîcheur du temps qu’il fait, si propice à la redécouverte des secrets intérieurs. Je cueille, une à une, les pensées qui, entassées dans l’abîme de mon cerveau abimé, fleurissent mon existence en attendant l’heure de mon épanouissement total et de mon évanouissement dans le néant intégral. Effet bien étrange que celui provoqué, pour la première fois dans l’histoire de ma mémoire, par un pôle négatif un peu trop joli. Autrefois, au cours de mes autres vies, chaque fois qu’un pôle négatif me séduisait, je couchais avec lui, je le tuais et m’essuyais les mains sur son cadavre. La douce Fatigné neutralise à mes yeux tous les pôles négatifs rencontrés à ce jour. Les autres n’étaient que des riens. Quand on couche avec un rien, on est très seul; quand on tue un rien, on ne tue personne; quand on s’essuie les mains sur son cadavre, on reste les mains sales.
Le jour se réveille. Le soleil étire paresseusement ses premiers rayons sur l’abîme de mon univers, les moineaux chantent la joie de la nature, les moines psalmodient une parodie de litanies. Quand on n’est pas moine, il vaut mieux se taire dans l’austère monastère où, selon sa fantaisie, mon destin a jugé bon de me déposer malgré que ce dépôt soit manifestement sans intérêt. Je ne connais personne qui dispose d’un destin qui ait moins de jugement que le mien.
Je suis vêtu comme un moine mais l’habit ne fait pas que vous puissiez ignorer le reste de la phrase. Je vous dispense donc de cette formalité par égard à ce que vous pouvez avoir de jugement. Malgré les apparences, je reste désespérément toujours le même. À la case 128 B, inscrivez : « pas de chance »; et nous continuons. Bon, voilà que je recommence, moi qui n’ai jamais cessé.
Aujourd’hui, pas de couleur, pas d’amour et, surtout, pas d’homosexualité.
L’empire de la nuit cède à nouveau sa place à l’ennui et au mutisme. Dans le cloître, et dans ses environs immédiats, la vie se déroule en silence.
Comme ça, je n’aurai pas à me faire suer à écrire des dialogues qui vous feront suer et ce d’autant plus que les circonstances me le permettent tout en respectant les limites de la cohérence dont ce texte se trouve dénué. Ce qui, à titre d’auteur et en compensation compensatoire pour l’usure de mes doigts sur ces claviers, m’arrange préfunérairement. Donc, si je n’écris pas de dialogue, vous n’en lirez pas, ce qui ne fait que des gagnants. Mais revenons à nos moines avant que nos moines ne reviennent. J’ai fait du silence un allié. Une mitaine. Je le respecte et en retour, il me protège. Si je disais un mot, il serait de trop. Un seul, et il retentirait comme un éclat de rire à mes funérailles. Comme un sacre dans un monastère où pourtant le sacré à sa place. Si une parole sortait de ma bouche, et d’où voulez-vous qu’elle sorte, les moines reconnaîtraient mon haleine hérétique et me trucideraient sur le champ pratique de leurs pratiques. S’ils me masquaient, ils me tueraient. Probablement par jalousie, sûrement avec plaisir. Celui de mettre à mort. Les moines adorent Sade et le mettent en pratique, surtout ceux qui se terrent dans les monastères et ceux qui enseignent dans les pensionnats. Certains mangent, sans scrupule ni répugnance, de la chair humaine encore vivante. D’autres fréquentent des vampires. Jeunes gens, jeunes filles, méfiez-vous des apparences.
C’est bête une vie de moine; leur vie leur va bien. Debout, couché, prie, mange, prie. Que le silence des lieux envahissent votre esprit. Bienheureux les simples d’esprit. Ils me rappellent la parabole des talents. Eux, au lieu de l’enterrer, ils le couvent en espérant obtenir un poussin. C’est peut-être mieux ainsi. Ils récoltent à pleine mains des indulgences. Il y a des choses que même les mondes imaginaires ne peuvent porter. Et tant de choses que je ne peux supporter.
Les moines, qui étaient des moines haut perchés, ressemblent maintenant à des moineaux tombés du nid. Leur coquille est brisée. Et ils s’acharnent à coups de bec sur la main tendue pour les aider. Les moineaux ne volent que dans les airs. C’est peut-être pourquoi les moines chantent tout le temps.
Se perdre au milieu de gens qui se consacrent à dieu, simplement parce qu’il leur procure le pain et le vin, dégoûte à tout jamais l’homme de bonne volonté de sa sainte mère, l’église. Refuge d’un groupe de parasite qui cherche à se convaincre d’une mission divine. Qui cherche à se convaincre de l’existence d’un dieu qui justifierait la leur. Ce n’est pas le premier concept qui s’écoule dans les toilettes. Une lanterne n’a de valeur que par la lumière qu’elle peut répandre. Il en est de même pour les torches qui sévissent dans les monastères fécaux. Perdus dans le corps immense de la communauté où règne le couvert de l’anonymat. Je me sens comme un ver immergé dans un corps en décomposition. Je suis un versificateur solitaire. Mon unique vers est unique :
« Seul perdu, seul perdu, seul, perdu, seul, perdu. »
Rien de bien original mais avec l’avantage d’être de la même dimension que la patience du lecteur qui, à la limite, peut devenir éternel, à la mesure de l’amour de dieu. J’écris des mots d’esprit, ceint d’une volonté de transmettre mon esprit aux générations futures jusqu’à leur extinction. Je crierais bien des mots d’esprit si j’étais sur la place publique plutôt que dans un monastère où il vaut mieux se taire, se terrer jusqu’à la fin du jour, jusqu’à la transition au prochain univers. Les lieux n’étant pas spirituels, je préfère me complaire dans le silence plutôt que de risquer d’être brûlé vif comme hérétique et me retrouver demain couvert de pustules et de cicatrices. Pire encore, ils pourraient décider de me noyer dans leurs crachats dégoulinants de leurs multiples frustrations transmissibles par toutes les voies naturelles.
Si le diable devait se faire homme, il se ferait moine, un maudit bon moine, ne serait-ce que par l’attrait de la facilité du dépouillement, du plaisir à la fois intense et subtil de ne plus avoir rien à perdre. J’apprécie les contrastes qui se ressemblent parce qu’ils semblent moins déroutants et que ma route bénéficierait d’être plus simple.
La haine, elle, ne contraste avec rien et rien ne contraste avec elle. Je porte un habit de bure, ce qui vaut mieux que rien ou un gant de crin, mais je ne
supporte jamais bien la peau d’un autre. Je crois faire un peu de fièvre. Il fait très chaud ici. Plus qu’ailleurs. Peut-être à cause de la proximité de l’enfer. Dans le temps et dans l’espace.
Double-croche et ses Grégoriens tintamarrent dans le jubé. Les moines jubilent, envoûtés par les rythmes lointains de la jeunesse d’aujourd’hui qui ne vaut rien de plus ni rien de moins que celle d’hier et celle de demain. Le regard fixé vers cette jeunesse qu’ils atteindront peut-être un jour s’ils arrivent à sortir d’ici avec suffisamment de neurones pour ne pas simplement transférer du monastère à l’asile.
Les moines se trémoussent dans leur mini-soutane, happés par le plaisir de lorgner leurs cuisses velues. Certains s’aventurent dans la grande salle de bal en grand décolleté. Les moines manquent autant d’envergure au niveau de la poitrine qu’à celui des biceps. L’endroit manque de saints sauf en statues. L’endroit saint manque de statut. J’aime bien les statues, ça ne fait pas de cochonneries partout et quand on en a honte on a qu’à ne pas les montrer.
Les moines laissent voir la racine sphérique de leurs longs cheveux rares. Jusqu’à la statue de la vierge qui se déhanche sans en perdre sa dignité, ce qui n’est pas loin de constituer un authentique miracle. C’est vrai qu’elle garde les yeux fermés, peut-être pour cacher sa cécité. À ses pieds, immobile, Fatigné, sous le pseudonyme de Fatima, semble chercher à se faire sanctifier. Cet endroit ne lui convient pas plus que le reste de la société mais elle sait se satisfaire des restes de la société et ne pas demander le sien. Qui la blâmera d’hésiter entre chercher sa voie ou chercher à me suivre ?
L’heure du snack sonne. En rang pour la communion sous les deux espèces : mix-drink aux hormones et capsules de L.S.D. Les moines voyagent en communauté, tarif réduit de groupe pour réduits de la pensarde. Je ne communie pas parce que c’est contre mes principes et que j’ai déjà mon voyage.
Le chef suprême de la collectivité sédentaire, nomadisée par la communion, l’illustrissime « Georges Suzerain » proclame sa Parole dans un porte-voix qui porte à faux. Il parle aux murs qui ne lui prêtent aucune attention, sauf le mur du son et un hypocrite qui hoche distraitement la tête devant lui en se masturbant discrètement. Les moines s’effouèrent, chacun dans leur coin, avec leur objet de piété : favori le bâton de saint Joseph, symbole de leur chasteté qui fera l’objet de leur prochaine confession parce que pour l’instant, ils n’en ont rien à foutre. La scène est d’une obscénité répugnante et agrémentée d’une panoplie d’odeurs que l’encens ne parvient pas à atténuer. L’avantage d’un niveau sonore compatible avec un sommeil où ils sombreront bientôt un à un, assommés par le besoin d’oublier les plaisirs qu’ils viennent d’assouvir.
Les plus jeunes par contre ne se satisfont pas d’un seul coup et, intrigués et stimulés par la présence d’un nouvel observateur, voudraient m’intégrer dans leur danse des cinq sens. Mais je suis prêt à faire une Maria Goretti de moi-même, non pas pour préserver ma virginité, mais pour respecter l’orthodoxie de mes moeurs et par incapacité viscérale de surmonter le dégoût que ces baveux dégoulinants m’inspire. Les moinillons frustrés se font aller le bec et les ailes pour alerter ceux qui tiennent encore sur leurs pattes.
La volaille se métamorphose en loups. La communauté s’ameute. Déjà, l’écume aux lèvres, les plus enragés cherchent à s’emparer de ma petite personne, à faire intrusion dans l’intrus. Le cauchemar tourne au drame, je me croyais au cinéma et me voici au théâtre, au centre d’une scène qui pourrait être ma dernière. Je regarde par le judas mais je ne vois rien venir. Les esprits s’échauffent, les yeux rougissent. La passion qui les anime, ils veulent la faire mienne. Je suis à l’aube de mon dernier testament. Déjà l’odeur des charognes se mêlent aux premières effluves de putréfaction.
La terre tourne, ma tête aussi. Je n’ai pas communié, je refuse leur communion, leur communauté. La seule issue est dans l’inconscience.
Entre l’inconscience et la mort, il n’y a qu’une nuance de temps. Et comme le temps presse, je me réfugie dans une zone à laquelle ils n’auront jamais accès. Que le diable emporte mon corps, je me sauve avec mon esprit.
Mais pourquoi Big Ben n’est-il pas venu m’aider ?
Page retranchée du livre d’images de l’histoire qui contient les sanglots de l’humanité. Allez donc trouver la force de rire quand votre destin vous crucifie deux vies dans la même journée. La misérable pauvreté de l’immense salle où je séjourne pour les prochaines pages me consterne. Pauvreté exécrable bordé d’un filet d’essai avorté de luxe. Cette salle respire une simulation déjà mûrie, et, ignorant tout du lieu et de l’époque, je ressens par anticipation une vive antipathie envers ces gens qui, dans un moment, envahiront mon espace vital en personnifiant leur plus ou moins propre personnalité sur ce plateau. Il faut dire que les derniers temps ont été durs et que j’ai un urgent besoin d’attendrissement.
L’endroit ressemble à quelque chose comme la cour, désertée, du roi Arthur, l’envers à sa basse-cour. Un page s’avance sur ma page pour m’informer que je me trouve sur les terres de Louis VII.
Louis 7 août du jour de sa naissance.
Louis, c’est tout parce qu’après lui le déluge. Cet être narcissique est atteint d’une boulimie complémentaire et d’une sédentarité essentielle que confirme son obésité excédentaire.
Louis sait tout. Du moins à son avis parce que le contredire vous assure de ne plus encourir le moindre risque de récidive. À l’exception de la reine, une nymphomane notoire dont la passion pour la langue de porc n’a rien à voir avec celle de son mari qui préfère les marinades.
Pour les férus d’histoire, apprenez que Louis VII a vécu de 1120 à on s’en va.
Pour les autres, apprenez qu’il est mort en essayant de dévorer un cannibale qu’il croyait comestible.
Je stationne dans les coulisses de la grande salle du grand château de la grande noblesse de ce petit royaume.
Des tas de petits serviteurs, l’élevage du nain étant très populaire dans cette contrée dont les ressources alimentaires sont restreintes, préparent fébrilement les repas royaux, leur incontournable priorité, tout en s’efforçant de décorer les lieux communs pour donner un air de pacotille. Dans la mesure où le roi mange, tout semble de bon goût. Le sauvetage des apparences extérieures compte moins que la restauration de l’intérieur royale et de l’évacuation de ses royales déjections pour lesquelles la demande agricole est insatiable.
Les dames passent la journée à préparer leur soirée.
Les valets passent la journée à préparer la soirée des dames.
Et dans la cour les pique-assiette jeûnent pendant que les m’as-tu-vu deviennent aussi imbéciles qu’ils veulent à le paraître. Mais silence, on tourne.
Big Ben frappe les coups traditionnels sans tenir compte du compte.
Salut Big Ben ! Longtemps qu’on s’est vus… Chut ! On réclame le silence. Salut On ! Longtemps qu’on s’est vus… Décidément là il y a de l’abus. De part et d’autre et de part en part. Je constate avec consternation que je figure sur la liste des figurants. Pris de trac, je révise mon texte. Relire cette vingtaine de pages de conneries, c’est une vraie corvée. D’autant plus que je ne sais même pas sous quel nom je suis inscrit. Me voyez-vous interprétant Big Ben ? Je n’ai pas le physique de l’emploi. Ni la voix.
Le spectacle est commencé et, point capital, ne présente pas d’intérêt. Chacun parle en silence; ils placotent sans avoir rien à dire ce qui explique qu’aucun son ne sort de leur bouche; tous concentrés sur eux-mêmes, ils se fichent des propos aquatiques de voisin qu’ils ne regardent que du coin de
l’oeil pour ne pas perdre de vue leur nombril. Et ceux qui sombrent dans une douce rêverie se retrouvent devant la dernière image que leur a fait parvenir leur miroir. Dans cette royauté, le peuple n’étant pas politisé, chacun ménage ses cordes vocales en attendant la prochaine révolution restaurant la république et la suivante qui restaurera de nouveau la monarchie.
L’imagination étant hors de prix, la plèbe se réfugie dans la même médiocrité que l’on retrouve sur la scène où finalement il faut bien admettre qu’il ne se passe pas grand-chose. Aucun des nombreux acteurs ne passant à l’acte, le roi décrète un entracte.
Le port de la robe longue étant obligatoire, la cour épargne les frais de balayage.
Et la profondeur des décolletés donne enfin un peu de relief à cette soirée plate, provoquant des crises de strabisme tant par la concupiscence des hommes que par l’évaluation critique des regards féminins. Rien de nouveau sous le soleil.
L’honneur d’escorter le roi lors du retour vers la salle de bal, m’échoue. Mission facile puisque le gros du travail est accompli par sa panoplie de porteurs athlétiques.
Ce roi doit plaire à Big Baby Ben qui trouve quelqu’un qui, sans y parvenir, cherche à atteindre son gabarit. D’autant plus que son air grelot s’harmonise avec le son des cloches.
Pour le fou du roi, par contre, le défi est de taille. Échapper à toutes les occasions qui se présentent d’inverser les rôles est une question de survie parce que le roi n’entend pas à rire. Il exige que tous ses sujets, ses verbes et leurs compléments lui obéissent au doigt et à l’oeil, seules parties de son corps, avec les mâchoires, dont il garde le contrôle. Le reste de son corps est sujet à des mobilisations passives sous les ordres d’un troupeau de parasites médicaux. Son médecin principal, héritier d’une longue lignée de forgeron s’acquitte de la lourde tâche de lui conserver une santé de fer.
Enfin, après la complétion du protocole théâtral, la véritable soirée peut commencer. Let’s party !
On commence par asseoir, avec maintes précautions, le roi sur son trône, ayant bien pris soin de dégager les voies royales pour qu’il puisse évacuer à sa guise. Ce qui en aucune circonstance ne saurait être interprété comme une allusion aux ducs qui suivront.
Comme seul le roi dispose du privilège du siège, la masse mouvante des invités stimule la masse plus passive des tripes du souverain poncif.
Les invités lorsqu’ils ne tiennent plus debout peuvent poser leur vénérable séant à même la frigidité stérile du plancher de pierre, ce qui vaut quand même mieux que de se répandre en doléances ou autrement de moins seyant.
Le roi s’emmerde mais son siège est prévu pour cela. Ses pensées se concentrent sur sa grandeur. Il croit la sagesse proportionnelle à l’importance hiérarchique et comme il se sent hiérarchiquement supérieur tout ce qu’il fait lui parait juste et bon. Il appartient aux pauvres qui ne peuvent envisager la possibilité de se tromper ni d’être trompé.
Là-dessus le sourire de la reine est éloquent.
L’atmosphère de la soirée manque singulièrement d’énergie et de l’électricité qui permettrait d’amplifier une musique soporifique.
Les dames qui n’entrent plus dans la valse finissent par s’éclipser sous la lune à la recherche d’un amant ou de leur mari.
Leur absence provoque dans la salle une grave pénurie de grâce féminine et les hommes déplorent de ne plus pouvoir tourner en rond avant de tourner, en toute intimité, en bourrique lubrique.
Et voilà que Big Ben sonne l’heure d’un lunch que le roi, lui, n’a jamais vraiment interrompu. Le roi fait signe à ses gens de se lever et à ses serviteurs de le lever. Il s’arrête sous le porche pour réciter le menu qu’il a
lui-même composé. Et pénètre le premier dans la porcherie car les conventions diplomatiques abolissent les règles de la diplomatie de minuit à huit. Alors adieu réserve, courtoisie, belles manières. Sous réserve de donner priorité au roi, le peuple de la basse-cour se précipite sur le buffet avec la ferme intention d’en finir au plus vite. De voir ses moutons se changer en porcs, c’est aussi impressionnant que de voir l’eau se changer en vin.
Chacun se bourre et se rembourre à pleines poignées, boit ce qui ne se mange pas. Et le repas se termine par la fin de la faim sauf pour le roi qui de tous les cochons est le roi incontesté et qui continue de grignoter pendant qu’on le mène à la couche royale pendant que l’amant de la reine lui envoie un dernier baiser avant de libérer la voie.
Les derniers convives, épuisés, s’écroulent sur le plancher glacé sans que personne ne trouve la force de baiser pour se réchauffer.
Comme pour moi, leur réveil sera pénible et leur lendemain sera dur.
There’s a fog upon L.A.; je suis tout déconcrissé. And my friends have lost their way; je ne pourrai jamais rien retrouver, je vois brouille.
Et ces incessants voyages dans le temps et dans l’espace, ces frères siamois, ne font rien de bon à ma santé mentale.
And my friends i’ve lost my way. Je suis le prisonnier sans matricule. J’aimais vraiment mieux la vie, mais j’en prendrai quand même un autre verre. Je viens de rater une belle occasion d’employer le conditionnel présent du verbe aimer.
J’ai perdu le nord et, par conséquence, les autres points cardinaux. Le pape aussi. Les cordes se sont cassées : les patins dérapent, les pantins défroquent. Et fuck la froque. Pinocchio rides again. Ceci étant dit je ne comprends toujours pas plus ce qui se passe. Un voile d’incompréhension voile à mes yeux l’Image du monde de la Pseudo-Liberté. Celle qui est sans statut. Bye Bye !
Je m’habitue peu à peu au contraste de la lumière et du mal : le monde extérieur s’éclaircit, du moins la perception que j’en ai, ce qui illumine mon esprit.
On se sent drôlement vache quand on est coffré, mais cela endort les cendres de nos derniers remords, le cas échéant. Les autres ne sont pas plus zélés que moi, mais aujourd’hui, sans trop savoir pourquoi, je peux me consoler de ne pouvoir faire autrement.
Je suis un être, extra-terrestre, me baladant dans un U.F.O. qui n’a rien de non-identifié pour moi. La ville de Chépahoux , se développe à mes pieds, se développe à mon regard qui s’obstine à m’en transmettre des images microscopiques ; que des détails partout, pas de plan, pas de vue d’ensemble, un foutu bordel sans queue ni tête dont il n’y a pas moyen de comprendre le sens, si sens il y a.
« Lâche-nous pas Jean-Charles, on n’a pas besoin de toi. »
Rien de bien positif sous la rigueur du soleil.
Les mots sont des faux-frères dont la communauté n’a rien de commun, dont la commune n’a rien de communautaire. Dès qu’on a besoin d’eux, ils nous tournent le dos pour se réfugier dans leur Alzheimer de merde; ils nous forcent à les ignorer; la trahison de nos idées, le viol de notre pensée.
L’image est ma prude et rude maîtresse, elle ferme les yeux quand je la regarde et si j’ai droit à l’intimité de son corps elle me refuse celui de son esprit.
Et si je ne peux me passer de ma maîtresse, je ne peux vous la passer non plus. Je voudrais pourtant vous expliquer les mécanismes de ma vision, ce qui pourrait peut-être m’aide à les comprendre, mais je ne dispose pas des équations nécessaires. Ce n’est pas à coups de syllogismes que l’on se construit une réalité. Dénué de mauvaise volonté, je veux bien essayer : essayez de vous imaginer que tous les objets qui vous regardent ont une grande ligne qui les divise dans leur vertical sens de la hauteur. Si vous avez
déjà vu une moufette déambuler sur les antérieures vous pourrez vous faire plus facilement une idée de l’image. Imaginez maintenant qu’une des moitiés de cette agile moufette s’est volatilisée en fumée, qu’une moitié de chacun des objets exposés à votre regard s’évanouit dans le brouillard. Une moitié s’amuse dans les nuages tandis que l’autre tente désespérément de garder contact avec la réalité, de garder ce dont elle dispose de pied sur terre. Big Ben se baigne dans son milieu naturel et il n’est plus seul. Maudite cloche ! Je t’aurai bien un jour.
Si vous voyez ce que je vois, vous comprenez que je ne comprenne pas.
Que pourrait bien vouloir vous dire le silence, sinon : je m’en vais à cause de tout ce bruit. Pour me sortir de ce pétrin mon petit doigt, plutôt bonne pâte, me chuchote à l’oreille mille idées folles qui ne valent pas moins, en temps d’interurbain, que n’importe quelle de vos réalités. Il m’informe que mon destin m’a transporté à l’intérieur de l’oeil d’un être probablement humain du moins dans son phénotype et son caryotype. J’étais déjà pas mal tanné de ma petite vie, alors pourquoi ?
Je vois le monde du plus beau poste d’observation qui soit, mais je manque de perspective pour vraiment apprécier le paysage. Pour une fois, je vois le monde avec l’oeil d’un autre. Je vois maintenant comment un autre voit les choses que d’autres ne voient pas. C’est probablement pour cela que dans un clin d’oeil mon destin ne me fait voir que la demie du monde. Ainsi je ne risque pas de tout comprendre et d’enlever à ma vie tout ce qu’elle peut avoir de sens.
« Avez-vous l’heure ?
Oui, mais je n’ai pas le temps ! »
J’ai fait le tour de l’oeil mais hormis par la fenêtre, il n’y a pas grand-chose à voir. J’ai donc refait surface et focus vers l’extérieur. Il voit tout de même le monde d’un drôle d’oeil, le bonhomme. C’est sûrement un original. C’est peut-être même moi. Ce serait drôlement bizarre de me retrouver à
l’intérieur de mon propre oeil comme un poussin dans l’oeuf. Finalement, pas vraiment drôle, moi qui porte des verres de contact teintés de libido.
Le corps s’ébranle, je dis bien s’ébranle, et entre dans une maison où je me retrouve dehors. La maison n’existait pas et, à ce jour, tout indique qu’elle n’existe toujours pas. Libre à vous de la concevoir si ça peut vous faire plaisir mais pas question de partager mes droits d’auteur. Il n’a traversé le seuil de cette demeure que pour franchir celui de la réalité. C’est donc sans surprise que nous nous retrouvons ensemble au même endroit. La ligne est droite, nous sommes en forêt et comme dans toute forêt qui se respecte, il y a des arbres. Et il y a aussi des généraux, en uniforme d’apparat, qui sculptent d’immenses soldats que de belles dames bien parées par la nature, leur coiffeur, leur maquilleur, leur couturier, leur bijoutier et j’espère que vous avez compris le principe parce que je commence à être à court de corps de métier, pour vous resituer nous en étions rendus à de belles dames bien parées qui décorent ces immenses soldats de médailles étincelantes et les envoient au front, sur la ligne de feu, malgré les larmes qui saignent de leur coeur de bois.
Les plus larmoyants se font happer par des automates qui les entassent dans de grandes machines où ils sont transformés en soldat de plomb qui sont envoyés au front où ils fondent en larmes au lieu de brûler vifs comme leurs camarades de bois.
Sur le sol du pré vert, des feuilles mortes, des branches cassées, des médailles qui ont perdu leur médaillé, des restes de ce qui n’a jamais été et ne sera jamais.
Un pavillon, une construction aux allures de bunker. C’est une ambassade, facilement reconnaissable à son odeur. Un amalgame de mépris, de haine et de litière pour masquer la merde du chat. Le quartier général d’où des diplomates veillent à la transformation de la nature en poubelle.
« On arrache les forêts pour y planter des armées » comme vous le chantait Antoine pendant que vous regardiez sa chemine à fleurs.
La seule chose qu’un oeil puisse haïr, c’est ce qu’il voit. Ce que ce qu’il voit lui fait sentir, ressentir, ad nauseam. La seule chose que mes principes m’autorisent à haïr, c’est la haine. Ça tombe bien parce que le spectacle qui s’offre à ma vue en est un condensé d’incarnation d’une haine qui se reproduit dans des corps qui lui appartiennent pas, détruisant tout ce qu’ils pouvaient représenter de paix et d’amour. Cette scène me fait l’effet d’un doigt dans l’oeil, elle me brûle, elle me déchire faisant jaillir de moi toute la haine qu’il m’est possible d’éprouver. Comment peut-on savoir ce qu’il y a dans une larme ?
Heureusement, le corps que je parasite en a assez lui aussi et il sort consécutivement de l’auberge et du bois. Nous nous retrouvons à la rue. Jamais le visage des gens ne m’avait frappé à ce point. Même ceux que l’on pourrait soupçonner d’être des visages à deux faces n’en ont que la moitié d’un. Il est vrai qu’en tant qu’oeil, ou en tant qu’habitant de celui-ci, je n’ai rien d’autre à faire que de regarder et ce qui est le plus à portée de vue, car il ne saurait être question ici de perte, c’est la frimousse des honnêtes gens. Ainsi, je remarque pour la première fois que la plupart d’entre eux porte un masque. Je peux déchiffrer les mots « made in » ou « Japan » sous la plupart des mentons. Du moins sur celui des adultes parce que celui des enfants n’est pas à ma portée.
Bien des masques ont la mine sombre et froide d’un condamné à mort. Les autres semblent ignorer ou du moins ne pas se soucier de ce qui les attend.
Les innocents ont les yeux suppliants et la face niaise et semblent implorer le pardon de fautes qu’ils n’ont pas commises.
Les coupables ont le regard fuyant qui trahit leur crainte de se voir remettre la monnaie de leur pièce.
Je vois les gens du peuple, les bâtisseurs, les travailleurs mais aussi les perdants qui n’ont su contribuer à l’émergence d’un pays, et finalement ceux qui gardent au fond d’eux-mêmes les dernières braises de l’humain et qui en ont honte.
D’autres, beaucoup moins nombreux, portent, en guise de masque, le visage de la reine, et s’ils n’ont pas les oreilles en chou-fleur c’est qu’ils les ont en signe de piastre. Eux, ce sont les machines à sous, des fentes béantes, des détecteurs de monnaie et de faux billets; leur vie c’est l’argent et s’ils sont muets c’est que leur silence est d’or.
Il existe des masques de toutes formes, tailles, couleurs, mais ils ont pour point commun le vide qui s’étale de relatif à absolu de ses individus de pacotille. L’humain qu’ils étaient c’est transformé en personnage de bande mal dessinée. Ils sont devenus ce qu’ils voulaient paraître, mais le contenu s’est évaporé. Le créateur s’est perdu dans sa création, et il ne reste que l’amalgame des médiocrités qu’il pouvait concevoir.
Déjà, nous entrons dans une autre boîte, aux odeurs de céréales, dont le bol trône sur un cabaret. Des moteurs idiots viennent y péter de la broue, éclabousser de boue tous ceux qui s’y traînent debout. La place des sentiments est au vestiaire où depuis des lustres, il n’y a plus de préposée. Toujours cette fameuse histoire d’organe qui s’atrophie. Il me serait encore plus difficile d’éviter les clichés si j’étais photographe.
Les sentiments désincarnés ont été bannis des lieux pour faire un peu plus de place aux équations : il ne leur reste plus que l’eau pour se noyer. Pour ne pas réduire la surpopulation de la planète, les sentiments ont le privilège de se réincarner. Pauvres sentiments, comme ils regrettent la quiétude de leur cimetière. Pour un peu, ils en pleureraient.
La plupart d’entre eux sont orgueil, et ceux qui n’en sont pas en sont victimes tant de l’intérieur que de l’extérieur. Bref, personne n’y échappe. Il y a aussi quelques échantillons de perversion qui, quand elle est de caractère sexuel, traduit l’inculture du corps elle-même perversion de la sexualité amoureuse. Tout le monde ici est presque nu, ce qui ne fait que tamiser l’imagination qui a tant besoin de mystère. Le brouillard vient surtout du cerveau qui baigne dans des substances qui seraient ailleurs illicites mais qui font ici partie du quotidien. Ces altérations constantes de
la conscience ont d’ailleurs induit leur lot de maladies mentales. On constate peu de modération dans l’utilisation des grains de folie.
Pour ma part, je ne peux qu’imaginer que la moitié que je ne vois pas ressemble comme deux jumelles à celle que je vois. Rien pour surmener mes méninges.
Ici, pour faire un peu illusion, on a recouvert les miroirs de voiles diaphanes.
Éros va se coucher en rêvant à des catalogues de lingerie.
Et certains détraqués se métamorphosent en machine à toucher, en machine à coucher. Ils n’aiment pas que l’assouvissement de leur libido se fasse sans menu. Ils n’aiment pas cette impression de tout cuit dans la bouche, de mâché à l’avance, de prédigéré. Tout à un peu un goût de merde et quand on leur confirme que s’en est, tout ce qu’ils trouvent à dire c’est de féliciter le cuisinier.
Je ferme les yeux comme pour m’endormir tout en me demandant si j’aurai un jour le privilège de m’éveiller. Il n’est pas difficile mais pénible de croire en demain, quand ce demain sera ailleurs, imprévisible, inconstant et probablement sans la moindre trace de quoi que ce soit présentant le moindre intérêt.
Mais mon destin me dicte encore ma conduite et m’oblige à ouvrir ne nouveau les yeux tout en me demandant si j’aurai encore migré dans des lieux où je ne peux qu’être moi, pauvre de moi.
Mon attention est attirée par une faible lueur que je décèle à peine à l’horizon. Non, ce n’est pas une lueur d’espoir. Mais ce que c’est, j’aurais bien du mal à vous le dire, je vous demande donc de croire mon silence sur paroles.
Par un mystérieux hasard dans lequel, pour une fois, la providence ne joue aucun rôle, je me retrouve sur le seuil interne de la rétine de l’oeil controlatéral. Je peux y contempler cet être phosphorescent, ce fantôme
que je qualifierais de spectral si je n’étais allergique aux pléonasmes, ce bidule donc qui me poursuit dans mes rêves aussi bien les secs que les humides, dans mes voyages, la lueur qui entretient l’espoir dans ma vie.
En fait, je l’aime déjà un peu, non seulement par principe ou par besoin d’aimer, mais, peut-être surtout, parce qu’elle est la seule chose, si j’ose utiliser ce diminutif, qui m’intrigue dans ma vie, une vie, il faut bien l’admettre, tellement banale qu’on se demande si cela vaut bien la peine de la vivre. Elle est le seul rebondissement de la platitude qui coule entre mes doigts au même rythme que Big Ben écoule les secondes, une à la fois. Elle est la propreté de mes mains, la solution que j’imagine à l’équation, la pomme qui est restée bien tranquille sur sa branche, le lys dans le désert, le sucre dans le dessert, et j’ai un peu peur. Vous pouvez donc me crucifier, sinon une idée fixe, du moins une récurrence dans ma paranoïa.
Mais je ne peux y fixer mon regard parce qu’elle ne donne pas plus de signe de vie qu’elle ne donne de signe de mort. Belle mais sans âme et inanimée comme un jouet brisé, comme un crucifix dans un dépotoir; sans vie, toute beauté perd son éclat. Il n’y a que de la mort dans la nécrophilie. Et rien à cirer d’un cadavre sur un bout de bois.
Je toussote discrètement d’une toux qui ne sert qu’à signaler ma présence aux abonnés absents. Et le miracle se produit. Elle se tourne lentement vers moi et nos yeux se rencontrent en un point mobile quelque part entre nous deux. Je nais dans ma vie. Son regard semble me connaître depuis la fin du temps passé, comme si elle était sortie de ma côte. Un serrement dans ma pomme d’Adam. Un serment qui attend. La paix. Et l’amour qui respire enfin. La genèse. L’Alpha. Un cri de joie m’implose en silence. Je suis. La perte du poids de n’être rien et de naître quelqu’un. Je ne sais pas encore qui je suis. Je sais encore moins ce qu’il me faut faire. Dans le doute, on s’abstient mais j’ai perdu le goût de l’abstinence. Si je perds le fil de ma vie ma mort sera éternelle. Et le fil de ma vie, c’est elle. Elle, qui comme moi n’a pas encore de nom. Elle et moi qui ne sommes pas encore nous mais qui n’avons de choix que l’alternative du néant.
« Que fais-tu ici? »
J’ai parlé parce qu’il fallait que je parle. J’ai parlé sans penser pour pouvoir oser, même si le pouvoir et l’audace ne font pas partie de mon arsenal. Le son de ma voix a brisé l’enchantement, le rêve peut continuer.
« Je te suis, je te précède, je t’attends, j’attends que tu sois pour être avec toi. Tu es mon destin, je suis ta vie. Je t’attends à la porte du monde comme un nouveau-né attend la vie. Je suis prête. »
Sa voix chante comme une promesse. Sans briser mon rêve, l’enchantement peut continuer. Ses mots sont de ceux que j’ignore mais je ne demande qu’à apprendre, c’est ce qu’il me semble faire depuis toujours.
« Je ne comprends pas, tu devais bien avoir une vie avant celle-ci. »
« Bien sûr, mais on ne dispose que d’une vie à la fois. Pour avoir accès à celle-ci, je dois renoncer à l’autre. Comme toi. Tu n’as qu’à devenir. Et quand tu seras devenu, nous serons, vivants, dans le monde, le même monde. »
« Comment pourrais-je devenir si je ne suis pas, si je ne vis pas ? Si tu n’existes pas ? »
« Tu vis dans ta propre vie, tu es le centre de ton propre univers. Pour l’instant cela suffit. La ligne, malgré les apparences, est droite. Peu importe la direction que tu choisiras la destination sera la même. Il en est de l’espace comme du temps. Il n’y a qu’un seul chemin, celui qui mène d’hier à demain. Il n’y a qu’un seul temps, le présent. Comme pour l’enfant dans le sein de sa mère, il n’y a qu’une issue. Le foetus doit mourir pour céder sa place au nouveau-né. Mais personne ne le pleure même s’il a été chéri pendant sa courte vie. Pour toi, le chemin est encore long mais il se compte en temps plus qu’en distance. La terre est un bien petit pays.
Pour l’instant, tu dois dormir, m’oublier jusqu’à ta prochaine naissance. Là où je t’attends aussi. »
Ma voie déraille un peu.
« Si je dois t’oublier pendant mon sommeil, je ne dormirai plus jamais. »
Sa voix me rassure.
« C’est le seul chemin où nos destins se croisent. »
Sa voix s’éteint mais ses échos vivent en moi. Qu’il est long à venir ce sommeil auquel j’aspire maintenant. Je me sens bien, divinement bien. Qu’est-ce que ça me donnerait de plus d’être dieu. Je n’ai plus la moindre crainte. Comme la mère s’endort en caressant son ventre où la vie se prépare, je m’évanouis dans la préparation de la création.
L’impression de lèvres sur mon front, je glisse dans l’inconscience, confiant de me réveiller un jour.
Je me réveille seul. Comme d’habitude. Mon imagination est morte. Ma mémoire est en grève. Je n’ai plus, comme monde, qu’un ciel gris, sans pluie, sans vent. Pas de trace de Big Ben.
Mais suis-je éveillé ? Je n’en suis pas certain. Comme d’habitude. Ça me rassure, un peu. Rien de nouveau sous le soleil que des nuages pour le masquer. Une journée sans perception. À quoi servent les yeux quand il n’y a rien à voir, les oreilles quand vous savez quoi et le coeur quand il n’y a personne à aimer, pas même soi. Il n’y a même pas de sol. Et pas de raison pour pleurer. Si ce n’est que le temps qui refuse de passer.
Je vogue dans le vide, l’esprit dans les nuages. J’ai même perdu ma confusion de vue. Et le goût de fuir. Je suis comme un petit ange dans un ciel insignifiant. Je préfère l’enfer au néant. Mais je n’ai pas le choix. Souffrir pour être certain d’exister, ça ne mène pas très loin. Et si l’enfer était de perdre l’espoir que la vie s’arrête un jour. Aspirer à la vie jusqu’à en mourir.
Encore une fois je dérape dans l’absurde.
Au coeur du temps… au coeur de la pluie, de la grêle, de la neige, le soleil qui m’éblouit… Vous y croyez vous à la réincarnation ? Pas moi. C’est pourquoi…
Les arbres dansent leur folle farandole. Fafouin, ôte tes pieds de dedans la bolle… Et l’oiseau-driver est malhabile, il se casse la gueule, il sort du décor et on n’en parle plus, ou bien il se heurte à une des autos qui salissent les rues et on n’en parle pas plus. Station du boute, tout le monde débarque. On ne fait pas d’omelette sans casser les pieds, diantre que je suis poli aujourd’hui, de son lecteur.
Big Ben a réussi à assembler un trio : Les 5 cloches et leur clocher. Il réussit aussi à m’embêter un peu plus parce que par politesse il m’a demandé une partition que je voudrais parfaire avant de la partager. Mais il n’est pas le seul dont le son me fait ouvrir les yeux. Il y a aussi le meunier et le mur. La drogue est dure. L’itinérant vagabonde en tenant son volant d’une main et l’administration de l’autre. Le bourreau poursuit son ombre en lui hurlant des insultes. Le fugitif recherche la soeur du soldat inconnu pour lui remettre les clés du royaume. Tout le monde court. Tout le monde accourt. À court de quoi, j’ai peine à me l’imaginer. Les affreux, toujours aussi nombreux, sautent par les fenêtres pour gagner du temps. Un homme assis au coin d’un lampadaire passe son temps à regarder le temps passer même s’il est aveugle. Les siècles se côtoient et se méprisent. L’allumeur de réverbères promène sa lampe de poche dans la ville. Le centurion colle un avis de recherche sur tout ce qui est immobile.
Une vache sacrée fait de l’auto-stop en espérant un pick-up. Le spectre de la mort fait du piquetage devant le domicile de l’arpenteur. Les pompes funèbrent. Des enfants discutent : dans notre temps se sera beaucoup mieux; être différent ce n’est pas pareil et autres proverbes du même acabit. Un vieillard encore vert chante des alexandrins sur un air de Dylan. Faites vos jeux, rien ne va plus. Et je m’en vais.
Et je reviens. C’est partout pareil. Chacun a son identité propre mais aucune de rechange. Gédéon a un flacon flasque qui lui brouille le regard et
liquéfie les jambes. Il ne veut pas partager, même son ignorance. Personne ne veut parler, personne ne veut écouter : tout va bien. Tout le monde ne veut personne dans sa cour et personne n’y va : tout va bien.
La grandiloquence d’un texte d’Homère s’affiche en version originale et sous-titres lithuaniens sur un panneau-réclame dont personne ne veut. Une réclamation à vide à la manière d’Ovide. Ça sent l’improvisation démasquée.
J’ai l’intention de m’étonner quand mon attention est détournée par une constatation de salubrité publique. Ça saute aux yeux ce qui n’est pas gentil et encore moins agréable. Plus une femme, ni une femelle n’égaye le paysage. C’est plate. L’homme a fini par exterminer la race de ses compagnes par platitude et par flaccidité résistante aux traitements antitaches.
D’une part la femme était plus sujette aux sentiments sans en être le sujet et d’autre part elle inspirait le désir ce qui est épuisant et peu hygiénique comparativement au papier-mouchoir si utile quand le pénis a un gros rhume. Bref, on s’est débarrassé d’une plaie qui saignait trop souvent, sans compter migraines et céphalées.
Les gens, ignorant que je suis dégoûté, me laissent tranquille. La liberté d’expression n’a de sens que lorsque jumelée à celle de se taire. Je n’ai pas à craindre la colère des hommes. Je suis le Superman de mon délire. Invulnérable aux coups et aux blessures de même qu’aux balles de calibre .45.
Je préfère, encore une fois, me retirer dans un bois calme et paisible pour laisser passer l’orage du quotidien. Le temps ne passe pas plus vite mais il passe mieux dans un décor bucolique. Je me trahis presque en demandant le chemin à un passant qui passait le sien avec son chien en liesse dans une zone de laisse facultative. Il n’y a plus de chemin, ils sont en déroute. Et les gens ne parlent plus, c’est le dernier cri. La terre est aride. On a même
incinéré les cimetières pour que cela fasse plus propre. Plus le droit de moisir sur un terrain vague.
Je voudrais me retirer dans un désert mais j’y suis déjà et il y a plein de monde qui n’en sont pas. Pas d’oasis non plus parce que c’est féminin.
Je suis fatigué et déçu. La terre tourne encore mais plus personne ne s’en rend compte. J’ai le vertige. Tout tourne autour de moi ou je tourne autour de tout, comment savoir ?
Le monde est futile, irréel, inutile. Je n’ai plus besoin de rien qu’il puisse m’offrir, lui qui ne m’offre rien. Je vois ma vie qui défile devant moi comme un film muet qui n’intéresse personne. Ce n’est pourtant ni ma dernière scène, ni ma dernière heure.
J’ai le vertige et la nausée. Big Ben effeuille le dernier Sartre parmi les étrangers. Je ne peux plus supporter le monde et mes jambes ne peuvent plus me supporter. Un point partout. Partie nulle. Parti nulle part. Sans laisser d’adresse. Sans un dernier mauvais jeu de mots. Et si je mourrais malgré tout, malgré moi, malgré ce scénario profondément débile de débilité profonde. Ma conscience s’effondre, la bourse résiste. Je m’évanouis, passez-moi les sels, je tombe dans une tombe qui ne se trouvera jamais de terrain. Du sable dans les yeux, je redeviens poussière, je me déshydrate, je me désincarne, je me réfugie dans un dictionnaire de synonymes pour y chercher le mot fin.
La brume se lève au-delà de l’horizon mais s’attarde sur mon front. Je ne sais pas si j’ai eu chaud ou fait de la fièvre. La brume se lève du paillasson. Je me sens décrissé d’avoir à continuer. Mon espoir de mort vient de s’évanouir avec mon réveil. Je n’en peux plus beaucoup et s’il fallait qu’il y en ait beaucoup plus je n’en pourrais plus du tout. Bel exemple de simplicité volontaire.
Mes épaules sont un fardeau et ne peuvent en supporter un autre. Ma tête craque de partout, surtout du dedans. De la poudre de neurones séchés. Avec comme une odeur de morue.
Cauchemar que ce morceau qui manque à mon casse-tête.
Je retrouve ma vieille vie usée de nomade usé et abusé. Je suis à nouveau dans un nouveau monde. Big Deal comme le dirait Big Ben s’il devait donner son son de cloche. Je reprends, un peu, courage parce que mon destin m’a projeté dans un univers de jeunes et de moins jeunes qui refusent de vieillir sans sombrer dans le ridicule. Leur secret est de patauger dans l’enfance avant que l’enfance ne devienne souvenir et qu’ils commencent à en perdre le sens en même temps que la mémoire. Leur secret c’est un grain de sable provenant d’un château de sable en Espagne. C’est Alice au pays des merveilles. C’est un regard sur le monde et ce qu’il pourrait être s’il n’était pas ce que nous en avons fait. Le grain de sable qui bloque l’engrenage qui débloque à pleins tubes. C’est simple mais pas facile alors qu’il est si facile de faire simple.
Si dans les mondes antérieurs que j’ai parcourus dans mon passé simple il n’y a pas eu de femme, pas de fleur, pas de nature et rien de tout ce qui fait de la vie d’un homme qui a appris à ne plus se regarder quand il dort, ce monde où je viens de m’élever n’a personne qui se prenne au sérieux, personne qui croit que la vie ne vaut pas la peine d’être vécue, personne qui n’a besoin du spectre d’une vie éternelle. Sans eux, personne ne manque de rien.
Ils y a des gens qui, en apparence, sont très vieux, mais leur regard s’émerveille encore, rêve encore, comme celui des enfants qui découvrent le monde dans chacune de ses parcelles, dans chacun de ses instants.
Je découvre ma jeunesse parmi eux. Il le fallait bien, dans mon destin, je suis omniprésent. Et nous nous sourions. Et elle m’enseigne que chacun de mes pas n’a jamais été marché. Je suis comme eux, parmi eux. Et j’apprends à découvrir ce qui m’était caché, et pas seulement et pas surtout
ce que je me cachais à moi-même. Je me sens prêt et pour une fois mon destin n’y est pour rien. J’ai pris le contrôle de la console et donné un sens au jeu de ma vie.
Je regarde une dernière fois ce monde dépassé qui sera mon passé. J’y ai passé mais je n’y reviendrai plus. Je ferme les yeux. Pour la dernière fois je m’en vais et ce départ n’a rien d’une fuite.
Le matin sourit à mes yeux qui s’ouvrent paisiblement. J’y suis parvenu, je suis né. Dans le lointain une cloche sonne et tu dors à mes côtés.
FIN

dimanche 3 mai 2009

Avant-propos

Je me propose de publier ici une mouture renouvelée d'un texte écrit à la fin des années soixante.
J'ai un peu hésité entre reproduire intégralement le texte original et le droit de modifier les faiblesses à ma guise.
L'hésitation n'a pas été très longue.
Seule la première page manuscrite sera intouchable et restera certainement telle que je l'ai écrite à l'époque : elle sera donc publiée en italique.
Par la suite, les ajouts au texte seront en caractère gras et les suppressions entre parenthèses.
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Bizarrement, ce texte que je dédiais par anticipation "À ma femme", ce n'est pas à la première que je l'ai offert mais à la deuxième. Bon choix si vous voulez mon avis.