mardi 25 août 2009

Le maillot

Le maillot
Dénicher un maillot de bain noir qui lui fasse sans qu’elle ait l’air de flotter dans un scaphandre s’est avéré une tâche impossible. Elle a donc dû se résoudre à se rabattre sur une atrocité en noir et blanc qui lui donne des allures de zèbre famélique. Sans compter qu’il donne à sa poitrine un relief démesuré qui trahit la réalité.
Par contre, pour trouver un cours de natation pour adulte débutant a été un jeu d’enfant.
Le centre sportif communautaire en offre selon un horaire qui lui convient parfaitement.
Comme il fallait s’y attendre, le moniteur est un beau jeune homme chaleureux et en chaleur dont elle sera le principal centre d’intérêt, les seules autres étudiantes étant de dignes dames qui auraient fort bien pu être ses grands-mères.
Le seul bon côté est qu’éviter le soutien excessif et les mains quelque peu baladeuses du moniteur ont été une intense motivation à perdre rapidement toute peur de l’eau. Le malaise que lui inspire la promiscuité avec cet individu qui lui semble abuser de la situation la motive encore plus que son désir de vaincre sa peur de l’eau.
En fait, malgré sa maigre masse adipeuse, elle s’est, à sa grande surprise, métamorphosée en quelques heures de pierre inerte en saumon d’eau douce. Elle s’est même rapidement adaptée à la température de l’eau qui à prime abord la frigorifiait.
Et quand le moniteur s’était hasardé à lui faire des avances, il avait rapidement dû reculer une fois pour toutes.
Ce n’est pas de lui mais d’une des dames dont l’incapacité d’apprentissage de la natation n’altérait en rien leur capacité impressionnante de bavarder que la surprise devait survenir.
- Ma chère Zoé, si vous me permettez, je me demande comment il se fait qu’une jolie fille comme vous, avec un corps aussi menu que le vôtre n’est pas devenue mannequin.
- L’occasion ne s’est jamais présentée, sans doute. Et je ne suis pas certaine d’être faite pour ce genre de vie là.
- Préjugés que tout cela, il n’est pas nécessaire de courir après une carrière internationale et de vouloir à tout prix faire fortune. Le métier offre de nombreuses opportunités à celles qui ne souhaitent qu’arrondir à l’occasion, leurs fins de mois ou même n’en faire qu’une seule fois l’expérience. Tenez, si cela vous tente je vous laisse les coordonnées d’un bon ami que vous pourriez aller voir en toute confiance.»
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Zoé n’a pas hésité bien longtemps. Elle se sait tout à fait capable de se défendre et d’imposer ses limites. Dès le lendemain, elle appelle monsieur Mailhot, un nom prédestiné il faut croire, pour un premier rendez-vous.
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Le monsieur Mailhot en question est une véritable caricature. Court sur pattes avec des genoux cagneux, il se déplace constamment, en apparence au hasard, manifestant la plus grande nervosité. Une voix éraillée, un discours est rapide, saccadé, répétitif et somme toute, difficilement compréhensible.
Une allure complètement démodée, avec le cheveu rare divisé en plein centre d’un crâne ovoïde, une fine mais néanmoins ridicule moustache et pour compléter le tout des lunettes rondes à la monture dénuée de branche qu’il remonte constamment sur un petit nez retroussé.
« Allez, déshabillez-vous.
- Pardon ?
- Ah oui, j’oubliais, il vous faut des vêtements à essayer. Gertrude !!! »
La Gertrude en question semble sortir du même conte de fées. Aussi grande que l’autre est court, ses cheveux gris regroupés en un chignon qui lui donne des airs d’une vieille institutrice de campagne. Et ses lunettes semblent sorties du même musée que celles de monsieur Mailhot qu’elle appelle avec déférence monsieur Albert.
Difficile à croire que ces deux là puissent vivre de ce métier. Et pourtant, l’avenir lui prouvera qu’ils savent très bien tirer leur épingle du jeu.
Comme si elle avait lu dans son âme, Gertrude lui amène une longue robe noire, élégante, toute en dentelles. Pas besoin de la moindre retouche. On dirait qu’elle a été faite sur mesure. Zoé rêve déjà de se l’offrir. Sur le champ monsieur Albert lui offre de la porter au défilé des magasins Rayon qui aura lieu à la fin du mois.
Sans se préoccuper des honoraires, Zoé, prise au jeu, s’empresse d’accepter. Ses craintes de se retrouver au sein d’un réseau de prostitution ou d’être soumise à la tentation des drogues dures se sont évanouies. Elle n’a toutefois pas la moindre idée des conséquences de sa décision, ni des écueils vers lesquelles elle se dirige. Le danger est d’autant plus grand qu’elle n’en soupçonne pas la nature.
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Jamais Zoé ne se doutera que Richard connait intimement Gertrude sous le nom de Germain qui n’est pas, non plus, son vrai prénom.
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Le premier défilé auquel participe Zoé se déroule sous le signe de l’amateurisme. Ce sera le seul. Sans surprise, dans la salle se trouve un des recruteurs de la maison Rayon. Il n’a pas besoin de réfléchir et il dispose de toute la latitude nécessaire. Il fait à Zoé une offre qu’elle peut difficilement refuser.
Sa formation personnalisée, pour laquelle elle sera grassement payée, débutera dès qu’elle aura confirmé sa décision.
Elle n’a pas même pas besoin de signer le moindre contrat. Pas nécessaire de lire son horoscope, la fortune lui sourit. Son statut vient de passer d’employée à celui travailleuse autonome. Une décision que, malgré toutes les conséquences, aussi imprévisibles soient-elles, elle n’arrivera jamais à regretter.
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Pour les gars, la nouvelle vie de leur amie crée une indéniable insécurité. Ils connaissent la fragilité de leur alliance et tous les changements sont perçus comme une menace au fragile équilibre qui les maintient ensemble. Mais malgré les risques, pour eux comme pour elle, l’heure est à la célébration et ils revivent un nouveau réveillon où chacun retrouve son rôle avec brio.
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Rien de trop sorcier dans cet apprentissage. Essentiellement une question de maintien. Et de tolérance face à l’attitude négative de celles qui se sentent en compétition. Pour Zoé, le tout à des allures d’un jeu de Barbie où, pour un prix exorbitant, elle accepte de jouer à la poupée.
Alors qu’elles sont toutes bâties sur le même moule d’anorexie, Zoé se distingue par ses yeux d’acier au regard froid qui lui donne cette allure recherchée chez les professionnelles et par sa discipline sans faille. Alors que d’autres affichent déjà des attitudes de diva, elle reste concentrée sur ce qu’on lui demande de faire et le fait sans jamais rechigner.
Dans le groupe restreint de celles qui ont survécu aux étapes préliminaires, elle se retrouve parmi celles qui iront parfaire leur formation d’abord à New-York, puis dans les capitales européennes de la mode.
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La bonne nouvelle pour les gars, c’est qu’aussi longtemps qu’elle possèdera cet appartement, ils n’auront plus de loyer à payer. Zoé n’a pas perdu son côté économe, mais ses revenus actuels lui permettent d’être généreuse et elle n’a personne d’autre à gâter. La chance n’a-t-elle pas meilleur goût quand on a le plaisir de la partager ?
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Pour mieux gérer sa carrière qui s’amorce et les revenus qu’elle générera, le comptable de l’agence propose à Zoé de créer sa propre entreprise. Il n’y a aucun risque. Elle sera la seule actionnaire et pourra administrer ses avoirs à sa guise tout en minimisant les impacts fiscaux. Les frais de gestions seront ainsi largement compensés par les bénéfices qu’elle en retirera. Tout baigne, elle est d’accord. Elle n’a qu’à signer ici, et là

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