mardi 25 août 2009

Six mois

Les médecins ne sont pas très enclins à parler de miracle. Il n’en reste pas moins qu’ils sont stupéfaits par l’amélioration imprévisible et imprévue de son état de santé. Comment se fait-il que cela se produise chez le plus fortuné de tous les citoyens ? On ne va pas jusqu’à dire qu’il a vendu son âme au diable mais certains ne sont pas loin de le penser.
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Alistair réalise qu’il se sent mieux, mais le caractère miraculeux et temporaire de ce sursis lui échappe entièrement. Ce qui ne l’empêche pas de modifier ses habitudes : moins de tabac, moins d’alcool, une alimentation plus saine même s’il ne croit pas vraiment que nos connaissances en diététique soient suffisantes pour être fiable.
Plus de modération aussi sur le nombre d’heures travaillées, consacrées exclusivement à son fils, le plus souvent par la lecture des innombrables rapports qu’on lui fournit sur sa progression. Une progression étonnante mais dont il devine que la facture sera lourde. Il n’a pas plus étudié la psychologie qu’il n’a étudié l’administration, la comptabilité ni tout autre domaine connexe qui aurait plus lui être utile pendant sa carrière mais cela ne l’a pas empêché de faire fortune. Son expérience lui indique que personne ne pourrait supporter aussi longtemps le stress que subit Robinson. Qui au lieu d’essayer de se ménager, pèse constamment sur l’accélérateur indifférent ou inconscient du risque de plonger dans le décor.
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Robinson réalise sa grande fatigue sans en évaluer l’ampleur ni les répercussions. Il se sent fort parce qu’il résiste au désir de chercher refuge dans l’alcool.
Il ne se préoccupe pas outre mesure du fait qu’il ne réussit à s’assoupir quelques heures qu’après qu’une femme de ménage se soit chargée de faire le plus intime des siens.
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La relation entre le père et le fils est cordiale. Le seul point sur lequel ils sont en conflit larvé est le nombre d’heures hebdomadaires qu’il consacre au travail. Toutes les tentatives de le déléguer à des activités sociales ou culturelles rencontrent le même refus courtois mais obstiné.
Les relations entre le fils et ses principaux collaborateurs est toutefois beaucoup plus difficile. Il se montre facilement irascible, exige tout ce qu’il souhaite dans des délais déraisonnables et semble limiter la courtoisie à son père. Après avoir brûlé trois secrétaires en quelques semaines, il a été décidé de lui en allouer trois dans l’espoir qu’elles puissent le tolérer un peu plus longtemps. Et si cela ne résous pas le problème, il est déjà entendu que le secrétariat sera réservé à des candidats masculins.
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La motivation de Robinson n’a rien à voir avec l’argent, ou si peu que cela ne vaut pas la peine de le mentionner. Son objectif principal est de consolider puis d’étendre autant que possible l’entreprise familiale. Et son but ultime restera toujours le même : reconquérir une estime de lui-même. Son ego a été abimé par ce qu’il a perçu comme le mépris de son père. Les blessures de l’amour-propre peuvent être profondes mais chez Robinson on a l’impression qu’elles ont aussi été mutilantes. Et que le stress auquel il est soumis, et que le stress auquel il se soumet ne fait qu’aggraver la situation. Il lui reste d’ailleurs suffisamment de lucidité pour réaliser que tout ne tourne pas rond mais la seule solution qu’il arrive à concevoir est d’accélérer la cadence de son travail. L’exemple parfait d’un cercle vicieux.
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Pour aggraver, si besoin était, la situation. Robinson enregistre succès et coups d’éclat. Bien que sa stratégie soit plus agressive que celle de son père, il est clair qu’il y a une communauté d’esprit, une même capacité d’analyse, et ce qui distingue leur vision passe, pour l’instant, comme négligeable.
Si quelques-uns sont tentés d’attribuer ses gains au hasard ou à la chance du débutant, personne ne peut alléguer que sa réussite survient dans un contexte favorable. Si les périodes de prospérité favorisent les gains des investisseurs, elles se prêtent peu à la prise de contrôle d’entreprises en difficulté.
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