mardi 25 août 2009

Le père

Le père
Alistair (vérifier le nom dans la version originale) lit le résumé hebdomadaire des activités de son rejeton. Toujours aussi désolant. Ce grand escogriffe n’a décidément pas de colonne. Aucune originalité dans ses activités. Pas la moindre velléité de révolte. Jamais la moindre démarche pour parfaire sa formation, se préparer aux postes qu’il lui faudra bientôt occuper. Il ne prend même pas la peine de regarder les cotes boursières, de suivre de loin l’évolution fulgurante des actifs de la maison mère. Et, en conséquence, de sa propre fortune.
Il serait facile de lui imposer un parcours différent, de le contraindre à faire ce qu’il devrait faire. Mais il faut laisser la chance au coureur. Continuer d’espérer qu’il finira par se réveiller et comprendre que la liberté lui pend au bout du nez mais qu’il ne peut la saisir que s’il se décide à ouvrir les yeux.
Il lui est pénible de reconnaître et impossible d’accepter que son fils unique soit une chiffe molle qui ne pourrait ne jamais se hisser à la hauteur des défis qu’il lui faudrait relever pour, un jour, lui succéder. Bien sûr, il dispose de tous les éléments de qualité pour assurer la pérennité de ses entreprises. Ce ne sont pas les gestionnaires compétents qui manquent à son organisation. Ce n’est que sa fibre paternelle qui gémit devant les piètres capacités de son rejeton. Et dire qu’il lui faudra lui faire une place dans trois ans. Heureusement, ce ne sont pas les alternatives qui manquent. Rien ne l’empêcherait de faire ses premiers pas dans leur bureau de Hong-Kong ou de Bangkok.
Pour le réveiller un peu, la meilleure solution sera peut-être de lui confier la gestion d’une partie du réseau d’agences de mannequins. Sous divers couverts, il a réussi à créer un véritable monopole de cette sphère d’activités au détriment de toute possibilité de la rentabiliser. Mais les bénéfices secondaires effacent largement les pertes qui figurent sur les documents comptables. Sa seule impuissance n’a pas tari le plaisir des yeux.
*
Il n’avait lui-même pas eu la même chance que celle qu’il accorde aujourd’hui à son fils. Il se souvient très bien du soir où tout a
commencé. Il avait ramené à la maison un excellent bulletin couronnant sa septième année.
Son père lui avait dit : « C’est bien beau l’éducation mais ce n’est pas avec ça que tu vas devenir riche. »
Et dès le lendemain, alors que tous ses copains débutaient leurs vacances d’été, il avait commencé son apprentissage dans un des bureaux de son père.
Un père qu’il ne voyait pratiquement jamais. Toujours à parcourir la planète pour établir les assises d’innombrables compagnies. Travaillant douze heures par jour, sept jours par semaine. Multipliant les acquisitions d’autant d’entreprises qu’il pouvait en acquérir avec la conviction de pouvoir les rentabiliser. En préservant le plus souvent leur nom d’origine, tout en camouflant chaque fois que c’était envisageable tout lien avec la société mère. Aujourd’hui, il est devenu pratiquement impossible à quelque enquêteur que ce soit, de reconstituer l’ensemble du réseau. Et aussi grosse qu’elle soit, la maison mère ne compte pour guère plus du quart de la valeur réelle de son unique propriétaire.
Alistair, jeune garçon de douze ans, c’est senti bien seul dans ce qui était déjà une entreprise considérable et complètement abandonné par un père qu’il connaissait si peu.
Ce n’est que lors du premier réveillon de Noël qu’il a compris l’attachement de son père pour lui. Quand il s’était plaint de se faire constamment tripoter par les employés de la comptabilité. Son père avait su masquer l’ampleur de sa colère. Mais à partir de ce jour-là, il n’avait plus travaillé qu’avec du personnel féminin. Cela ne mit pas un terme au tripotage mais il n’y eut plus jamais de plainte sur le sujet.
Et il se souvient très bien d’avoir vu mendier l’un de ses anciens collègues aux mains agiles quelques années plus tard. Si l’adolescence avait suffisamment modifié ses traits pour ne pas être reconnu, il n’avait eu aucun doute sur l’identité de ce sans abri à qui, comme à tous les autres, il n’avait rien donné. Non qu’il ait été avare, mais il ne donnait qu’à ceux qui offraient quelque chose en échange comme les mimes et les musiciens de rue. À ceux-là, il donnait selon la mesure qu’il faisait de leur talent avec une générosité qui ne se laissait jamais influencer par la pitié, un sentiment qu’il ignorait

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