mardi 25 août 2009

le retour aux sources

Les gars ont bien compris qu’elle ne les avait pas oubliés. Une, très, occasionnelle carte postale provenant du bout du monde la rappelait à leur mémoire.
Chacune d’entre elles avec les mêmes phrases :
Je suis heureuse. Je vous embrasse. À bientôt. Votre Zoé.
Robinson ne s’est pas trop fait tirer l’oreille. Il lui a donné carte blanche pour aller souper, veiller et même passer la nuit dans son appartement avec ses vieux copains. Il n’a toutefois pas mentionné la horde d’agents de sécurité qui patrouilleront les environs. Mais comme personne ne remarque leur présence, à quoi bon le mentionner.
- Que tu es belle ! Je ne t’aurais jamais imaginée bronzée.
- Et tu as pris un peu de poids !
- Oui, mais une fée l’a aidée à le distribuer exactement là où il le fallait.
- Seigneur, je pense que tu es encore plus jolie qu’avant.
- Oui, et tu as vu cette robe ? Magnifique !
Cette dernière remarque est évidemment attribuable à Daniel car Richard ne l’aurait jamais réalisé si elle avait porté un vieux t-shirt troué et un jeans délavé.
*
La joie de Zoé fait plaisir à voir. Elle se confond de nouveau en remerciements pour l’aide qu’ils lui ont apporté quand elle s’est mariée, et non, elle ne le regrette pas. Merci aussi pour votre accueil, j’ai l’impression de ne jamais être partie. Et je vous ai apporté un petit cadeau. Pour Richard une élégante veste de cuir d’allure très virile et pour Daniel une bouteille délirante d’un Cognac prestigieux. Chacun de ces présents vaut davantage que le loyer qu’ils paient pendant toute une année, mais ils n’ont pas besoin de le savoir.
Leur association n’aura duré que quelques saisons mais Richard est le seul à manifester un chagrin tamisé par le bonheur pétillant de Zoé.
Daniel, lui, a repris sa vie effrénée et il semble très bien s’en porter. Il ne reste à l’appartement que pas souci d’économie parce qu’il aimerait bien y faire la fiesta à toutes les nuits. Il n’aura pas à attendre longtemps pour voir son rêve se réaliser.
Pour Richard, la situation est plus pénible. Des ennuis de santé avec lesquels il ne veut pas ennuyer ses amis. Mais, par moments, il arrive mal à dissimuler qu’il est souffrant. Il n’aura pas à attendre longtemps avant de voir sa situation se métamorphoser.
Pour ce soir, c’est le retour aux sources avec de nouveau un budget illimité avec la différence que Zoé a apporté quelques bonnes bouteilles puisée, avec autorisation, dans le cellier d’Alistair qui a sérieusement influencé ses choix. Un Romanée-Conti 1967, un château Cheval Blanc 1975 et un Grand Échezeaux 1969, trio fort sympathique de grands crus pour un autre trio de gens sympathiques.
Pour ces trois amis, c’est une répétition de leur réveillon de Noël avec, en prime, le sourire plus épanoui d’une Zoé resplendissante.
La soirée se conclut par une invitation : il est grand temps que les gars fassent davantage connaissance avec monsieur son mari.
*
Tenue de ville obligatoire. Les garçons ne sont pas habitués à ces lieux de grand luxe, un peu guindés mais où les trous dans l’atmosphère sont largement compensés par la qualité exceptionnelle de la bouffe.
Robinson accapare la carte des vins et élabore ses choix à partir du menu que chacun a choisi.
Il est bien content de partager ce repas avec ces hommes pour lesquels il n’aurait, en d’autres circonstances, aucune affinité.
Par moments, la conversation languit un peu mais Zoé interprète avec brio son rôle de maître de cérémonie et repart le bal sur un nouveau sujet.
De nouveau, la soirée se conclut par une invitation : il faut absolument que les gars viennent visiter son « chalet ». Un seul bémol, il n’est pas certain que Robinson puisse se libérer.
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C’est la première difficulté qui affecte le couple, ce sera, de toute leur histoire, la principale, pour ne pas dire la seule.
Zoé vient d’être reléguée au deuxième rang. Loin, de plus en plus loin, derrière sa rivale qui règne triomphalement au sommet. Robinson se consacre entièrement à ce travail auquel il a rêvé depuis bien plus longtemps qu’il a rêvé d’elle. Tous les prétextes sont bons pour rester au bureau jusqu’au milieu de la nuit, pour un déplacement d’urgence, pour une réunion qu’il ne peut absolument pas manquer.
Zoé a, pour l’instant, une bouée qui lui permet de se rassurer. Alistair a annoncé à mots couverts que sa santé décline mais il faudrait être aveugle pour ne pas le réaliser. Sa maigreur est sur le point de surpasser celle de Zoé qui, malgré ses trois ou quatre kilos supplémentaires a de justesse quitté la catégorie squelette ambulatoire. Mais c’est surtout le teint du malade qui trahit la sévérité de sa maladie. Il semble à chaque jour à la fois plus jaune et plus pâle; ses conjonctives surtout lui donnent des allures d’extraterrestre. Et sa voix qui pâlit elle aussi pour devenir aussi caverneux et sourde que s’il était déjà enterré.
Alors Zoé se calme et se dit que bientôt le vieil homme ne sera plus là et que même si les choses ne redeviennent pas tout à fait comme avant, au moins le pire sera passé.
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Le simple fait de s’y rendre en hélicoptère annonçait déjà les couleurs. Ils sont accueillis chaleureusement par les véritables maîtres des lieux qui semblent deviner les liens d’amitié qui les unissent à leur maitresse : un couple de bergers allemands, pourtant farouchement dressés pour la garde les reçoit comme s’ils étaient de vieux amis. L’explication est plus simple et moins poétique : pendant leur entrainement on leur a appris à accepter la présence de quiconque descend de cet hélicoptère, mais seulement après avoir identifié le pilote.
Les gars sont éblouis par la résidence de Zoé. Une merveille architecturale de pierres dont la fenestration abondante s’ouvre sur un lac calme comme un miroir dans lequel se reflète la nature sauvage de la propriété. Un toit de cuivre, verdi par le temps, finit de donner à l’ensemble un caractère noble et ancien.
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Zoé ne s’en vante pas mais les titres de propriété sont à son nom et elle détient tous les droits sur son modeste chalet dont la vente, à elle seule, suffirait largement à assurer son avenir jusqu’à ce qu’elle soit centenaire.
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Comme prévu, Robinson n’a pu se libérer, mais tant pis, on se passera de lui.
Malgré son absence, les rôles, aujourd’hui, seront différents, trahissant un peu plus les changements qui s’installent au sein du trio. Richard n’aura pas à cuisiner et Daniel ne sera pas le maître incontesté des alcools. Même Zoé a été supplantée par un majordome qui supervisera avec discrétion et efficacité chaque étape de la soirée.
Pendant que le personnel s’affaire à préparer le repas, les trois amis optent pour une petite balade sur le lac. Bien sûr, ils ne le savent pas encore, mais ce seront les derniers moments qu’ils passeront seuls ensemble tous les trois. Mais, peut-être par intuition, et certainement parce qu’ils savent que le temps qu’ils auront ensemble leur sera compté, ce petit tour sur l’eau donne lui à une déclaration commune d’amour. Ils se disent ce que chacun sait déjà mais qu’il fait toujours bon à entendre. Quel meilleur endroit que le milieu d’un lac pour un chant du cygne ?
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Zoé a déjà vu ce geste mais elle n’arrive pas à croire que Richard puisse le poser. Sa question n’en est pas vraiment une mais un refus de cette réalité :
- Richard, qu’est-ce que tu fais là ?
- Comme tu le vois, je m’injecte de l’insuline.
- Mais… depuis quand ?
Le diabète de Richard a été diagnostiqué alors qu’il était en prison. Pendant des années, il a fait, avec plus ou moins de conviction, attention à sa diète et a pris des hypoglycémiants. Mais depuis quelques mois, ceux-ci ne suffisent plus et il essaie de s’acheter un peu plus d’avenir à coups d’injections.
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La mauvaise nouvelle est vite reléguée aux oubliettes par l’atmosphère qui se poursuit sur le même ton affectueux et chaleureux. Si les gars s’étonnent de voir autant d’employés que dans un grand restaurant, ils reconnaissent que l’ambiance y est toute autre et qu’ils constituent une équipe qui partage plus que le travail.
La bouffe est divine, les vins sont sublimes mais cela n’empêche pas le temps de passer et les garçons sont escortés Zoé regagne ses quartiers en baignant dans une douce euphorie qui lui a cruellement fait défaut depuis quelque temps.
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Un coup de masse. Autant l’ambiance a été lumineuse, autant celle du matin est sombre. La conversation tourne autour du silence.
Zoé se trouve même un prétexte pour s’absenter quelques minutes. Pour aller pleurer. Elle voudrait bien masquer ses yeux rougis, mais pas question de retourner à table avec des verres fumés. Les gars ne passent aucun commentaire mais il est évident que leur état d’âme se rapproche de celui de leur amie.
- Je t’envie ma belle de pouvoir te réfugier dans un endroit aussi sublime. Si j’avais les moyens je deviendrais ton voisin, lui déclare Richard
- Mais pourquoi ne resterait tu pas avec moi ? J’adorerais avoir le plaisir de ta compagnie.
- J’aimerais bien ça ma belle mais tu me connais assez pour savoir que je n’ai pas été conçu pour un rôle de parasite.
- Il y a sûrement quelque chose que tu pourrais faire pour te rendre utile. Laisse-moi y penser une seconde. Tu pourrais heu… tu pourrais… être garde-chasse. Le terrain est immense, des millions de pieds carrés. Il doit bien falloir toute une journée pour en faire le tour. Tiens tu pourrais baliser un sentier autour du lac.
- Zoé, je sais que tu dis ça pour être gentille, mais tu sais très bien que tu n’as aucun besoin de moi.
- Au contraire, si tu savais à quel point.
Elle quitte la table en larmes. Les gars échangent un regard perplexe. Mais qu’est-ce qui se passe ? Ils conviennent que ce ne serait finalement pas une mauvaise idée que Richard passe quelque temps ici.
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Zoé a retrouvé son calme et son sourire. Elle serre Daniel dans ses bras, comme si c’était la dernière fois. Mais ils se reverront bientôt, malheureusement.
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Richard n’a qu’un but en tête. Entreprendre son nouveau boulot. La nature est un rêve dont il n’était pas même pas conscient. Mais réaliser que l’on souhaite quelque chose au même moment qu’on l’obtient, n’est-ce pas une des formes sublimes du bonheur ?
*
Zoé, encore une fois, se résigne à faire son deuil. Richard ne pouvait quand même pas remplacer l’époux qu’elle a perdu aux mains de son travail. Et le fait qu’il est recommencé à meubler ses nuits d’étoiles filantes n’y change pas grand-chose. Bien sûr, elle s’attendait et elle aurait espéré une fidélité à toute épreuve. Mais elle préfère laisser la corvée des petites vites à des substituts pour lesquelles elle éprouve de la pitié sans la moindre

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