mardi 25 août 2009

Le souper de Zoé

Le souper de Zoé
Elle a refusé la première invitation sans un instant d’hésitation. Elle n’a aucun intérêt à partager un repas avec le directeur des événements spéciaux chez Rayon même dans un des meilleurs restaurants de Paris, même si tous ses frais de déplacement et de séjour sont défrayés, même si on lui offre son cachet habituel pour un défilé.
La deuxième invitation lui est parvenue la semaine suivante. Les seules différences, Londres au lieu de Paris et le double de son cachet.
La troisième pour Barcelone, quadruple cachet.
Zoé commence à être intriguée et hésite entre l’acceptation et la curiosité de voir jusqu’où pourraient monter les enchères.
*
Finalement, elle décide de tenir un conciliabule avec ses deux acolytes.
Leur premier argument est indéniable, à un tel tarif, elle serait folle de décliner cette offre.
Le deuxième est qu’elle est bien assez grande pour se défendre toute seule, d’autant plus qu’elle est dans une forme splendide depuis qu’elle fait autant d’exercice.
Le troisième est qu’elle est en mesure d’exiger d’être accompagnée de ses deux comparses qui agiront à titre de chaperons et de gardes du corps. Rôle dans lequel Daniel est peu crédible, mais il se laissera pousser la barbe au cours des prochains jours et se fera faire quelques tatouages au séné pour se viriliser un peu. Quant à Richard, il n’a qu’à être lui-même et à contrôler son agressivité.
La décision est rapidement unanime : ses demandes seront à prendre ou à laisser.
* La réponse ne se fait pas attendre. Seule la destination a de nouveau été modifiée. Ils partiront en limousine à six heures jeudi matin pour se rendre à l’aéroport où un avion privé les attendra. Ils pourront apporter tout le bagage qu’il leur plaira. Les formalités de sécurité et de douanes seront réduites à leur plus simple expression. Pour une fois, ils voyageront comme le font les grands de ce monde.
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Heureusement, ils ont déjà tous un passeport en règle.
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Pour Zoé, sobrement et sombrement vêtue, à moins de contraintes professionnelles, elle ne porte que du noir, si l’adage voulant que la première impression soit la meilleure, la soirée s’annonce aussi longue que la relation s’annonce courte.
Elle n’éprouve aucune sympathie pour ce visage de bellâtre aux airs de chien battu. Au moins, il la regarde dans les yeux sans manifester la moindre intention de la déshabiller du regard.
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Pour Robinson, l’intensité du cataclysme dépasse ses pires appréhensions. Les yeux de cette femme le tuent. Et sa démarche féline le rend encore plus vulnérable. Les réflexes fonctionnent, il se lève, lui tend la main, esquisse un misérable sourire mais les mots qu’il voudrait lui dire sont à mille lieues de ses lèvres et, pour une fois, il craint de sombrer dans la banalité.
« - Bonsoir madame, je vous remercie d’avoir accepté mon invitation.
- Je vous assure, monsieur, tout le plaisir est pour moi.
- Désireriez vous commencer par boire quelque chose, du champagne peut-être ?
- Nous pourrions probablement commencer par nous présenter. Comme vous le savez déjà, je m’appelle Zoé. Vous êtes ?
- Aussi invraisemblable que cela puisse vous paraître, je suis Robinson A. Robinson. Le A est pour mon père, qui se prénomme Alistair.»
Comme entrée de jeu, on peut difficilement faire pire. Robinson réalise l’ampleur de la tâche. En quelque part, au fond de lui, il jubile : enfin un défi à relever. Et l’enjeu est majeur. Il doit gagner ou perdre la femme de sa vie.
*
Robinson a marqué plusieurs points. En étant parfaitement honnête sur sa situation actuelle. Sur le poids de l’oisiveté sur son estime de soi. Sur ses attentes face à son avenir. Sans s’apitoyer une seconde sur son sort.
C’est plutôt Zoé qui plaint cet homme manifestement plein de potentiel qui perd son temps en une interminable attente qu’il se passe enfin quelque chose. Elle voudrait le secouer. Qu’il renonce tout de suite au renoncement. Qu’il cherche et trouve un terrain sur lequel il pourra au moins se battre si faibles soient ses chances de gagner. Les muscles qu’elle a offerts à son corps, elle voudrait le voir les développer pour son esprit. Mais qu’est-ce que c’est que cette attitude de vaincu.
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Il perd presque tous les points qu’il avait gagnés en lui révélant qu’ils ne pourront plus se revoir. Ainsi sont faites les règles du jeu auquel il est soumis.
Zoé se trouve partagée en le soulagement de ne plus avoir à soutenir cette colonne molle et la révolte que lui inspire toute injustice. Il y a bien des causes qu’elle pourrait défendre, mais elle a trouvé un combat qu’elle voudrait bien mener.
Si elle accepte de le suivre jusqu’à sa chambre, ce n’est que pour élaborer les premières étapes de leur stratégie. En commençant par le commencement, c’est-à-dire, comment faire pour qu’ils puissent se revoir.
La communication directe étant sinon impossible du moins difficile et risquée, ils mettront à profit les deux amis de Zoé.
*
Au petit matin, Zoé quitte la chambre juste avant l’heure où le pion s’apprête à venir lui donner l’heure du départ.
Elle ne peut s’empêcher de teinter son regard de pitié envers cet homme diminué. Il ne peut s’empêcher de percevoir cette pitié et d’en souffrir.
Pour une fois, c’est l’adrénaline plutôt que la testostérone qui circule dans ses veines.
*
Le moins que l’on puisse dire c’est que ses deux amis ne manifeste aucun enthousiasme face à son projet. Et c’est sans détour qu’ils la questionnent sur sa motivation.
« Dis-nous au moins pourquoi tu veux faire ça, Zoé, lui demande Richard.
Pour être honnête, je ne le sais pas trop moi-même. Pourquoi te dévoues-tu pour les sans abris ?
Ce n’est pas la même chose et tu le sais très bien. Il faut bien que cet homme t’inspire quelque chose pour que tu veuilles voler au secours d’un homme séduisant et riche à millions.
Il m’inspire de la pitié. Et je ne suis probablement pas indifférente à son charme même si cet attrait se cache sous le couvert de cette pitié. Mais j’ai l’impression que je peux l’aider. Et c’est nouveau pour moi. Je n’ai pas aidé beaucoup de personnes dans ma vie. Et jamais gratuitement. Je sens surgir en moi un côté mère Teresa dont j’ignorais l’existence.
J’espère que tu sais dans quoi tu t’embarques. Moi, je n’embarque pas à moins que tu me jures que je pourrai être un des témoins à ton mariage. Et toi, qu’en penses-tu Daniel ? »
Mais ce pauvre Daniel est trop ému pour pouvoir lui répondre.
Le soupir qu’elle pousse en dit long sur son état

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