mardi 25 août 2009

routine

Le début d’une routine
Les semaines se sont accumulées pour former des mois, mais bien que Robinson ait été tenté de croire que son père avait fini par l’oublier, il a reçu un appel qui est un rappel à la réalité.
Soixante dix-sept jours. Pour l’un comme pour l’autre, cette période aura été la plus heureuse de leur vie.
Mais l’heure des complications a sonné et il n’y a pas d’alternative. Si Robinson est bien décidé à s’affirmer et à ne plus se plier passivement aux volontés de son père, il ne peut éviter la confrontation qui s’annonce.
Comment Robinson pourrait-il deviner qu’il se rend au chevet d’un malade ?
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En regardant son père, Robinson voyait un ennemi, au mieux un adversaire. Un fils aurait vu à quel point l’homme était devenu un vieillard, à quel point il avait diminué en poids mais aussi en taille comme s’il s’était tassé sur lui-même. Un fils aurait remarqué la profondeur des rides mais surtout le teint malsain de sa peau maintenant constellée de lésions suspecte. Un fils, enfin, aurait perçu le masque de la mort sur le visage de son père.
Pourtant, il y a dans les yeux d’Alistair une lumière qui brille pour la première fois. Ils reflètent une fierté nouvelle de ce fils qui a su défier sa volonté, déjouer l’étroit filet qu’il avait tissé autour de lui pour le maintenir dans le rôle qu’il lui avait alloué.
C’est en voyant Zoé que le vieil homme réalise son erreur. Faire défiler des mannequins dans la vie et dans le lit de son fils comblait sans doute ses propres fantasmes mais ne présentait aucun intérêt en comparaison du plaisir de partager sa vie avec une femme de cet acabit dont il était, lui le vieux tombeur, tombé sous le charme. Il ressentait une pointe de jalousie, comme s’il aurait lui-même dû en dénicher une sur le même modèle mais surtout une grande admiration pour ce fils qu’il a sans doute sous-estimé.
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- Et vous ma chère Zoé, souhaitez vous réintégrer le marché du travail ?
- Ni mon expérience de vendeuse chez un disquaire de mon quartier, ni mes défilés de mode ne me qualifient, pour l’instant… à un poste de direction, mais j’aimerais bien, comme vous le dites si bien, réintégrer le marché du travail, si vous avez un poste qui me sourit avec, bien sûr, un salaire convenable.
- Mon cher Robinson, je ne sais pas comment tu t’es débrouillé pour dénicher cette perle et d’ailleurs j’aime beaucoup mieux ne pas le savoir, mais je te lève mon chapeau, c’est un coup de maître.
Robinson ne peut s’empêcher d’éprouver une grande fierté. Il a beaucoup souffert de ne pas avoir su gagner la confiance de son père. Cet éloge lui va droit au coeur.
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L’heure des choses sérieuses qui, pour Alistair, précédera de peu la dernière heure, a sonné.
Ce n’est plus par despotisme mais à cause de l’urgence de la situation que c’est le père qui établit les priorités et dicte l’agenda.
Au tout premier plan la nécessité de faire le tour du domaine. Jusque là, Alistair était le seul à connaitre tous les rouages de l’organisation. Bien sûr, en se regroupant les divers directeurs auraient pu reconstituer l’essentiel de la structure mais pas la vision qui a mené à son édification et qui modèlera son avenir.
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Robinson se surprend à admirer son père, à apprécier sa perspicacité et même à savourer le temps qu’il passe avec lui. Il se sent grandi par le regard que son père pose sur lui, sur la confiance qu’il lui manifeste de plus en plus. Sur la finesse de sa pensée, ses dons d’anticipation qui semblent parfois relever de la prophétie. Et par l’ampleur insoupçonnée de sa fortune. D’autant plus que si son père a souvent su exploiter les failles dans les lois et règlements, il a mis sur pied un important et onéreux service juridique pour s’assurer qu’il était invulnérable face à toute poursuite ou accusation de fraude. Il a aussi créé un département de fiscalité qui lui a permis d’alléger le fardeau imposé par la taxation.
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Alistair se surprend à admirer son fils. Il ne soupçonnait pas sa vivacité d’esprit, sa capacité de retenir l’information, de percevoir le plan derrière la diversité des morceaux du casse-tête. Et il devine que son fils pourra perpétuer la philosophie dont il a lui-même hérité de son père.
Il n’espère plus maintenant qu’avoir le temps de tenir son petit-fils dans ses bras, mais il ne se fait pas d’illusion.
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Zoé se surprend à aimer Alistair. Le portrait que lui en avait dressé Robinson lui semble beaucoup plus noir que ce qu’elle perçoit. Le noir c’est cette fin qu’elle sent déjà prochaine.
Elle a bien deviné, dans sa façon qu’il a de la regarder, le cadeau qu’il voudrait qu’elle lui fasse. Mais elle n’est pas prête et elle le regrette. Il est trop tôt pour pondre alors que le nid n’est pas construit.
Et elle veut profiter encore pleinement de ce corps qu’elle a trainé comme un boulet pendant tant d’années.
Elle se sent un peu coupable et égoïste mais elle s’efforce de compenser en dispensant généreusement attention et affection avec cet homme qu’elle a adopté comme un père.
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Pas de problème avec la négociation salariale. Robinson apprend que son père, pour des considérations fiscales, lui verse un salaire depuis le jour de son seizième anniversaire.
Le solde de son compte en banque pourrait lui permettre de prendre immédiatement une retraite dorée.
Et en guise de cadeau d’anniversaire, Alistair lui a acheté une immense et luxueuse résidence dans le quartier le plus prestigieux de la ville. Quant à Zoé, elle devra se contenter d’une résidence secondaire, un petit manoir avec une douzaine de chambres, il faut bien prévoir de la place pour les enfants, sur un terrain de trois cents acres avec son lac privé et ses deux majestueuses piscines dont une est intérieure. Avec, bien sûr, tout le personnel nécessaire pour assurer son entretien dont un cuisinier et un sommelier de réputation internationale. Maintenant qu’ils sont à la
retraite, ils profitent d’une vie tranquille tout en bénéficiant enfin du plaisir de pouvoir vivre ensemble au grand jour. Alistair, bien renseigné comme toujours, sait très bien que sa bru n’aura aucun problème à côtoyer des homosexuels et se réjouit d’avance que ses petits-enfants apprennent à grandir à l’abri des préjugés

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